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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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nombre des effectifs ennemis ?
    Berret haussa le sourcil de son œil unique, comme si la
question lui déplaisait. Qu’importe le nombre ? semblait-il demander.
    — D’après nos estimations, huit à dix mille hommes
concentrés entre Limas et Piedras Blancas, expliqua-t-il en dissimulant mal sa
mauvaise humeur. Infanterie, cavalerie, artillerie et bandes de ces francs-tireurs
qu’ils appellent des « guérilleros »… Il est possible que la première
rencontre ait lieu ici – il indiqua un point sur la carte – et
ensuite ici – il indiqua un autre point, après quoi il tapa dessus du
tranchant de la main, comme s’il donnait un coup de hache. – L’objectif
est de leur couper le passage vers la montagne, en les obligeant à livrer
bataille dans la vallée, terrain qui, en principe, leur est moins favorable.
    »Vous en savez maintenant presque autant que moi. Encore des
questions, messieurs ?
    Il n’y eut pas d’autres questions. Tous les présents, y
compris le novice Frédéric, savaient que les brèves explications du chef
d’escadron avaient été une pure formalité ; d’une certaine manière, cette
réunion l’était aussi : les véritables décisions viendraient d’en haut,
dans le cours de la bataille, et seul le colonel Letac connaissait avec
certitude les plans du général Darsand. En ce qui concernait l’escadron, ce
qu’on attendait de lui était qu’il se batte bien et, s’il en recevait l’ordre,
qu’il charge et taille en pièces les formations ennemies qui lui seraient
désignées.
    Berret plia les cartes, considérant que la réunion était
terminée.
    — Merci, messieurs. Ce sera tout. Nous partons dans une
demi-heure avec le reste du régiment ; si nous ne perdons pas de temps,
nous aurons fait une bonne partie de la route avant le jour.
    — Formation par quatre pour la marche, dit Dembrowsky,
intervenant pour la première fois. Et le moment venu, outre les francs-tireurs,
prenez garde aux lanciers espagnols. Ces gens-là connaissent le terrain. De
bons cavaliers.
    — Aussi bons que nous ? interrogea le lieutenant
Gérard.
    Dembrowsky les dévisagea un par un de ses yeux gris, aussi
froids que l’eau gelée de sa Pologne natale.
    — Aussi bons que nous, je puis vous l’assurer,
répondit-il, avec une expression indéchiffrable. J’étais à Bailén.
    Depuis plusieurs semaines, Bailén était synonyme de
désastre. Trois divisions impériales avaient capitulé devant vingt-sept mille
Espagnols, après avoir eu deux mille six cents morts et perdu dix-neuf mille
prisonniers, une cinquantaine de canons, ainsi que quatre étendards suisses et
quatre drapeaux français… Les présents observèrent un lourd silence, et le
commandant Berret regarda Dembrowsky d’un air réprobateur. Ce fut l’ordonnance
du commandant qui sauva la situation en retirant les cartes de la table pour y
poser une bouteille de cognac et des verres. Quand tous furent servis, Berret
leva le sien.
    — À l’Empereur, prononça-t-il solennellement.
    — À l’Empereur ! répéta l’assistance, et les
sabres résonnèrent contre les éperons quand ils se levèrent, joignant les
talons, avant de vider leur verre d’un trait.
    Frédéric sentit le goût âcre du cognac glisser dans son
estomac à jeun et serra les dents pour que personne ne lise la répugnance sur
son visage. Le groupe se défit, et tout le monde quitta la tente. Dans le camp
régnait une grande agitation, un ballet d’ombres et de reflets, on entendait le
choc métallique des armes, les hennissements des montures, des ordres et des
bruits de course. Le ciel restait noir, sans la moindre trace d’étoiles.
Frédéric eut froid et, pendant quelques instants, il se demanda s’il n’aurait
pas mieux fait de garder son gilet. Mais le souvenir de la terre brûlante sur
laquelle il se trouvait lui fit rapidement écarter cette idée ; dès que le
jour serait venu, tout vêtement supplémentaire deviendrait une gêne inutile.
    Bourmont marchait à son côté, perdu dans ses pensées.
Frédéric ressentit une désagréable brûlure dans le ventre.
    — Le cognac de Berret m’a fait aussi mal qu’un coup de
pistolet.
    — À moi aussi, répondit Bourmont. J’espère que Franchot
aura eu le temps de nous préparer une tasse de café.
    Franchot ne déçut pas les espoirs des deux amis. En arrivant
à leur tente, ils trouvèrent un pot fumant et des biscuits secs préparés par
l’ordonnance. Ils se jetèrent
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