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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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chemin qui
serpentait parmi les oliviers enveloppés de ténèbres. Les sabots de chevaux
faisaient le bruit d’un torrent en crue. La voix du commandant Berret retentit
dans le cercle de lumière des torches.
    — Escadron ! En… selle !
    Le trompette traduisit l’ordre par une sonnerie stridente.
Frédéric se coiffa de son colback en fourrure d’ours, mit le pied à l’étrier et
se hissa sur Noirot. Il s’installa sur la selle, en laissant pendre sur sa
cuisse gauche la sabretache en cuir rouge, frappée de l’aigle impériale et du
numéro du régiment. Il ajusta ses gants de chevreau, posa la main gauche sur le
pommeau de son sabre et, de la droite, saisit les rênes. Noirot piaffa en
encensant, prêt à marcher à la moindre incitation du cavalier.
    Berret passa devant eux, les rênes lâches, suivi, comme une
ombre fidèle, du trompette-major. Frédéric se tourna vers Bourmont qui faisait
reculer son cheval d’une légère pression des rênes.
    — Ça commence, Michel.
    Bourmont acquiesça d’un hochement de tête, attentif aux
mouvements de sa monture. L’impressionnant colback, sous lequel pendaient les
nattes et la queue de cheveux blonds, lui donnait un aspect formidable.
    — Ça commence, et on dirait que ça commence bien,
confirma-t-il en venant à sa hauteur pour lui serrer la main. Mais je crois que
nous aurons encore l’occasion de bavarder un peu. J’ai entendu Dembrowsky dire
que, pour nous, l’heure de l’action ne viendrait que dans le cours de la
matinée.
    — L’important, c’est qu’elle vienne.
    — Le Ciel t’entende !
    — Bonne chance, Michel.
    — Bonne chance, frère. Et rappelle-toi que je suis
derrière toi ; je ne te quitterai pas des yeux de toute la journée. Comme
ça, je pourrai raconter aux dames comment s’est comporté aujourd’hui mon ami
Frédéric Glüntz. Je pense en particulier à certains yeux bleus dont tu m’as dit
quelques mots…
    Le cheval de Bourmont encensa, inquiet.
    — Allons, allons, dit son cavalier, du calme, Rostand,
que diable… ! Tu te rends compte, Frédéric ? Les chevaux sont presque
aussi impatients que nous de livrer bataille. Il y a une heure, nous étions
tous encore en train de ronfler, et, d’un seul coup, il n’y a pas un être
vivant qui n’ait envie d’en découdre. C’est ça, la guerre.
    » En tout cas, à tout moment, si tu te sens seul, tu
n’auras qu’à te retourner et tu me verras… Enfin, quand il fera jour. Pour
l’heure, Lucifer lui-même ne serait pas capable de distinguer sa queue. Que
Dieu me damne, on n’y voit rien !
    » Et prends garde, par l’enfer ! Prends bien
garde !
    Reculant sur la croupe de son cheval avec une adresse
consommée, Bourmont rétrograda pour occuper sa place dans la formation.
Frédéric contempla la longue file de hussards immobiles sur leurs montures,
silencieux et impressionnants dans leurs brillants uniformes auxquels la lueur
des torches arrachait des éclairs de vieil or. Le capitaine Dembrowsky passa au
petit trot, au risque de se briser le cou dans la pénombre. Frédéric admira une
fois de plus son allure impassible, ce détachement qui était l’un de ses traits
les plus remarquables.
    Le trompette sonna la marche au pas, en colonne par quatre.
Frédéric laissa passer devant lui six rangs de quatre hommes, étrier contre
étrier, et, après avoir rendu légèrement les rênes, pressa les flancs de Noirot
de ses genoux pour prendre sa place dans la formation. Quittant le cercle de
lumière des torches, l’escadron manœuvra en direction du chemin. La colonne franchit
le mur de pierre et entra en serpentant dans l’obscurité.
    Des hommes chantonnaient entre leurs dents, d’autres
conversaient à voix basse. De temps à autre, une plaisanterie parcourait la
file. Mais la plupart des hussards avançaient en silence, perdus dans leurs
pensées, leurs souvenirs et leurs inquiétudes. Frédéric se fit la réflexion
qu’il ne savait rien d’eux. Les officiers, bien entendu, il les
connaissait ; mais il ignorait tout des hommes de troupe, y compris des
douze qui se trouvaient sous son commandement direct : le maréchal des
logis Pinsard, les brigadiers Martin et Criton… Il y en avait un qui s’appelait
Luciani : il s’en souvenait parce qu’il était corse, comme l’Empereur, et
s’en vantait souvent. Les autres étaient des inconnus, des soldats qu’il
pouvait identifier à leurs visages, mais dont il ignorait les noms et
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