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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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comprendre que son grand-père cessait de lutter pour la vie parce
qu’il n’avait plus rien à espérer d’elle ; il allait à la rencontre de la
mort avec la passivité et le renoncement d’un homme qui avait déjà franchi le
mur au-delà duquel on abandonne toute vitalité et tout goût du combat pour
l’existence. En contemplant, non sans une crainte respectueuse, depuis le seuil
de l’alcôve la forme immobile de son aïeul, Frédéric Glüntz s’était demandé
fugacement si ce n’était pas en elle et en ce qu’elle représentait que se
trouvait le principe de la sagesse suprême.
    Pour la énième fois, il se répéta que son comportement dans
la bataille qui s’annonçait pour le lendemain ne l’inquiétait pas. Il était
préparé à tout, y compris à l’idée que, comme le racontaient les vieilles sagas
scandinaves qu’il aimait lire dans son enfance, les walkyries le distinguent au
cours du combat en déposant sur son front le baiser destiné aux héros voués à
la mort. Il serait digne de l’uniforme qu’il portait. Quand il rentrerait à
Strasbourg, Walter Glüntz aurait toutes les raisons de se sentir fier de son
fils.
    Bourmont s’était recouché et, cette fois, dormait
profondément. Frédéric ôta ses bottes et l’imita, sans éteindre la lampe. Il
mit du temps à s’endormir et, quand il y parvint, il eut un rêve inquiet,
peuplé d’étranges images. Il voyait des visages basanés hostiles, de longues
lances, des chevaux emballés et des sabres nus qui lançaient des éclairs sous
le soleil. Le cœur serré par l’angoisse, il cherchait sa walkyrie au milieu de
la poussière et du sang, et il éprouvait un soulagement infini de ne pas la
trouver. À plusieurs reprises, le son de ses propres gémissements le réveilla,
la bouche sèche et le front brûlant.

 
2. L’aube
    Il faisait encore nuit quand Franchot, l’ordonnance qu’ils
partageaient, se présenta. C’était un hussard de petite taille au visage
antipathique, nattes crasseuses et jambes arquées, dont la seule qualité
résidait en une habileté particulière à se procurer, par d’obscures manœuvres,
des victuailles destinées à améliorer l’ordinaire, toujours calamiteux dans
l’armée d’Espagne. Pour le reste, l’individu n’était guère recommandable.
    — Le commandant Berret a convoqué messieurs les
officiers pour la réunion de campagne, annonça-t-il dès qu’il eut considéré que
les deux sous-lieutenants étaient suffisamment réveillés. Sous sa tente, dans
une demi-heure.
    Frédéric abandonna son lit de camp à contrecœur. Il n’avait
presque pas dormi et, au moment où Franchot avait fait irruption, il venait
tout juste de trouver le sommeil. Bourmont était déjà levé, les yeux rouges, en
train de se coiffer entre deux bâillements.
    — On dirait que le grand moment est arrivé, dit-il avec
un froncement de sourcils en constatant que l’ordonnance tardait à cirer les
bottes. Quelle heure est-il ?
    Frédéric jeta un coup d’œil au cadran de sa montre.
    — Trois heures et demie du matin. As-tu bien
dormi ?
    — Comme un enfant, répondit Bourmont, ce qui n’était
pas tout à fait exact. Et toi ?
    — Comme un enfant, répliqua Frédéric, ce qui était
encore moins exact.
    Leurs regards se croisèrent un instant, et un sourire
complice se dessina sur les lèvres des deux amis.
    Près de la tente, Franchot avait préparé une lampe à
pétrole, une cuvette d’eau chaude et un seau d’eau froide. Ils se
débarbouillèrent, puis l’ordonnance les rasa de près, en commençant par
Bourmont, plus ancien dans le régiment, dont il cira ensuite les pointes de la
moustache. La toilette de Frédéric prit moins de temps : du fait de son
extrême jeunesse, sa barbe, nous l’avons dit, se limitait à un duvet clairsemé
sur les joues. Tandis que Franchot achevait de passer le rasoir sur son visage,
Frédéric regarda le ciel. Il était toujours couvert de nuages ; les
étoiles étaient invisibles.
    Le camp s’éveillait bruyamment. Les sous-officiers lançaient
des ordres rauques, et, entre les tentes, c’était un constant va-et-vient de
soldats effectuant les préparatifs de la campagne à la lumière des foyers. Une
compagnie de chasseurs à pied qui avait campé le soir précédent à proximité de
l’escadron était prête à marcher ; les hommes s’alignaient, pressés par
les cris des sergents. Une autre compagnie, en colonne par quatre,
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