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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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cheval. Et
toi ?
    Frédéric hésita.
    — En vérité, je n’en sais encore rien. Le sabre –
il le désigna de la main, dans son fourreau d’acier doublé de cuir noir –
ne peut me faire défaut, et le bras qui s’en servira est bien entraîné. Mon
cheval Noirot est une excellente monture, qui répond aussi docilement à la
pression de mes genoux qu’aux rênes. Et Dieu… Eh bien, j’ai eu, quoique né la
même année que la prise de la Bastille, une éducation familiale religieuse.
Ensuite, la vie militaire crée une ambiance différente, mais il est difficile
de renoncer aux croyances qui vous ont été inculquées dans l’enfance. De toute
façon, dans une bataille, Dieu doit être trop occupé pour se soucier de moi.
Les Espagnols qui nous font face croient en leur Dieu papiste et dogmatique
avec plus de fanatisme qu’un hussard de l’Empereur, et ils jurent et rejurent
qu’il est avec eux et non avec nous, qui sommes l’incarnation de toutes les
noirceurs de l’enfer. Ils ont probablement offert le pauvre Juniac au Christ
comme dans les sacrifices païens, quand ils l’ont étripé et pendu par les pieds
à cet olivier…
    — En résumé ? questionna Bourmont que cette
évocation de Juniac avait assombri.
    — En résumé, j’en reste à mon sabre et à mon cheval.
    — C’est parler en hussard. Letac serait ravi de
t’entendre.
    Bourmont se défit de ses bottes et de son dolman pour
s’étendre de nouveau sur le lit de camp. Il croisa les bras derrière la tête et
ferma les yeux, en chantonnant un air italien. Frédéric sortit de la poche de
son gilet la montre en argent gravée à ses initiales que son père lui avait
donnée le jour de son départ de Strasbourg pour l’École militaire. Onze heures
et demie du soir. Il se leva paresseusement en se frottant les reins et rangea
le sabre avec la buffleterie qui pendait du mât de la tente, à côté des fontes
d’arçon contenant deux pistolets qu’il avait lui-même soigneusement chargés
deux heures plus tôt.
    — Je vais prendre un peu l’air, dit-il à Bourmont.
    — Tu devrais essayer de dormir, répondit son ami sans
ouvrir les yeux. La journée de demain sera agitée. Nous n’aurons guère le temps
de nous reposer.
    — Je vais juste jeter un coup d’œil à Noirot. Je
reviens tout de suite.
    Il jeta son dolman sur ses épaules, écarta la toile de la
tente et sortit, respirant la brise nocturne. La lueur des braises d’un foyer
teignait de rouge les visages de la demi-douzaine de soldats qui bavardaient,
assis autour. Frédéric les observa quelques instants, puis se dirigea vers le
quartier des chevaux d’où lui parvenaient par intervalles des hennissements
nerveux.
    Oudin, le maréchal des logis fourrier de l’escadron, jouait
aux cartes avec d’autres sous-officiers sous une tente aux flancs ouverts. Sur
la table en bois étaient étalés des cartes crasseuses, des bouteilles de vin et
des verres. Oudin et les autres se levèrent en reconnaissant Frédéric.
    — À vos ordres, mon lieutenant, dit Oudin, dont le
visage moustachu et piqué de petite vérole était rouge sous l’effet du vin.
Rien à signaler chez les chevaux.
    Le fourrier était un vétéran buveur et grognon, toujours
d’une humeur massacrante, mais il connaissait les chevaux comme s’il les avait
lui-même mis au monde. Il portait un anneau d’or à l’oreille gauche et deux
nattes qu’il teignait pour cacher les cheveux gris. Son uniforme, comme celui
de la plupart des hussards, était abondamment garni de broderies et de cordons.
Les goûts vestimentaires de la cavalerie légère n’étaient pas précisément
discrets.
    — Je vais voir mon cheval, l’informa Frédéric.
    — Je vous en prie, mon lieutenant, répondit le sous-officier,
observant l’attitude réglementaire devant ce jeune homme qui avait l’âge de son
dernier fils. Désirez-vous que je vous accompagne ?
    — Inutile. Je suppose que Noirot est toujours là où je
l’ai laissé cette après-midi.
    — Oui, mon lieutenant. Dans l’enclos des officiers,
près du mur de pierre.
    Frédéric s’éloigna en suivant le sentier plongé dans
l’obscurité, et Oudin revint à ses cartes après lui avoir jeté un regard où se
lisait clairement la méfiance. Il n’aimait pas qu’on vienne fourrer son nez
parmi les chevaux ; quand ils n’étaient pas sellés, ils étaient en
principe sous sa responsabilité. Il prenait soin que ces nobles machines de
guerre
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