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Le Fardeau de Lucifer

Le Fardeau de Lucifer

Titel: Le Fardeau de Lucifer
Autoren: Hervé Gagnon
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grandir. Quelqu’un, quelque part, doit entretenir la flamme, ne croyez-vous pas ? N’est-ce pas suffisant pour donner un sens à la vie ?
    —    Un sens, oui. Et aussi la certitude que nous serons traqués comme des bêtes jusqu’à notre mort. L’Église ne cessera jamais de chercher les documents. Belle vie en perspective. Heureusement, il me reste moins d’années que toi.
    —    Beaucoup moins.
    Mon maître me fourra son coude dans les côtes. Le rire triste qui nous enveloppa nous fit un peu de bien.
    —    Le mensonge domine l’Occident tout entier. Il essaie même de s’étendre en Orient. Que peuvent faire neuf individus pour l’empêcher ?
    —    Pas grand-chose. Mais devons-nous nécessairement affronter l’Église ? m’enquis-je.
    —    Une part de moi le souhaite, ne serait-ce que pour tanner les fesses de celui qui est assis bien tranquille sur le trône de saint Pierre.
    Nous fûmes tous deux surpris de trouver dame Esclarmonde derrière nous.
    —    Pardonnez-moi. Je ne voulais pas vous épier.
    Avec naturel, la Parfaite se fraya une place entre Montbard et moi. Ses longs cheveux noirs striés de blanc flottaient dans la brise et elle ramena distraitement une mèche derrière son oreille. Je ne pus m’empêcher de constater encore une fois que cette femme entre deux âges était d’une grande beauté. Elle dégageait une sérénité contagieuse qui m’apaisa un peu. Elle nous toisa à tour de rôle de son regard pénétrant et nous adressa un sourire compréhensif en voyant la bouteille bien entamée. Puis elle parut admirer les étoiles.
    —    La Création est une chose fort belle quand elle n’est pas avilie par l’homme, remarqua-t-elle d’un ton rêveur. Ne trouvez-vous pas ? Il suffit de regarder la voûte céleste pour constater que nous sommes bien peu de chose.
    Ni Montbard ni moi ne répondîmes. Nos préoccupations étaient bien plus terre à terre que la Création. Elle parut le sentir et posa une main sur la mienne. Elle fit de même avec mon maître.
    —    Mes frères, vous êtes chrétiens, dit-elle. La Vérité bouscule toutes les assurances qu’on vous a mises en tête depuis le jour de votre baptême. Elle est certes plus difficile à accepter pour vous que pour des cathares. Vous devez vous sentir bien perdus. Floués, aussi.
    Elle nous serra les mains et nous hochâmes tous deux la tête. Avec sa clairvoyance habituelle, Esclarmonde avait parfaitement saisi notre sentiment.
    —    Si cela peut mettre un peu de baume sur vos plaies, tout ce que les prêtres vous ont enseigné n’est pas faux.
    —    Ah non ? rétorquai-je d’un ton ironique. Vous m’en direz tant.
    —    Allons, ne sois pas amer, Gondemar. Jésus n’était peut-être pas le Fils de Dieu ressuscité le troisième jour pour racheter les péchés du monde, comme on le prétend, mais il n’en était pas moins un homme de bien. Si son message a été usurpé par l’Église chrétienne, il était néanmoins porteur de la vérité toute simple qui doit guider la vie de l’homme. Diligesproximum tuum tamquam teipsum 3 . Quiconque suit fidèlement cette voie sera sauvé. Ne confonds pas le mensonge des hommes et les paroles de celui dont ils se réclament. L’Église est une chose et la foi en Dieu en est une autre. Jésus ne doit pas être renié parce qu’il était un homme. Au contraire, admire-Le et respecte-Le précisément pour cela. Suis ses enseignements. Le Paradis sur Terre est chose possible si les hommes lui sont fidèles, sans égard à leur religion.
    Je fis la moue, peu disposé à accepter ses arguments. Pour retrouver la Vérité, j’avais été témoin des pires horreurs dont l’être humain était capable. J’avais vu les croisés se permettre les plus viles bassesses au nom de Dieu. J’avais été un des leurs. Une fois passé du côté des hérétiques, je n’avais pas fait mieux, motivé, cette fois, par le sentiment de progresser vers la cause de ma résurrection. La Vérité avait exigé de moi le meurtre, la trahison et le déshonneur. Elle n’avait fait que confirmer ce que j’étais - ce qui m’avait mené en enfer et m’en avait ramené. Et cette femme avait l’audace d’affirmer sa confiance en l’homme ? Cela me donnait la nausée.
    —    Vous croyez vraiment cela ? dis-je avec lassitude. Avez-vous regardé autour de vous ? L’homme s’enfonce toujours plus profondément dans le stupre, la violence et la
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