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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche
Autoren: Arlette Cousture
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Tout ça m’a fait trop mal.
Quand on habite un village où tout le monde connaît l’histoire de tout le
monde, il faut marcher droit. Sans ça, les vautours comme Joachim Crête te tournent
autour. Si tu lui avais vu la tête quand il m’a vue partir avec mes meubles.
Les Alliés n’ont pas dû être plus heureux après le débarquement de
Normandie. »
    Le soleil perdit de sa force et commença à
décliner. Blanche se leva et baissa la toile pour éviter que sa mère ne soit
éblouie. Émilie la remercia.
    – Tu as toujours été tellement serviable,
Blanche. Des fois, je me demande si c’est naturel ou si tu as appris ça au
couvent. Je te l’ai déjà dit, j’ai pas souvenir de t’avoir vue faire de colère.
    – Ça m’est arrivé. Pas souvent, mais ça
m’est arrivé.
    « Ma plus grosse colère, je pense l’avoir
faite à la mort d e
    Marie-Louise. Il n’y a pas de mots pour la
décrire… Je ne m’en remettrai jamais. Encore moins maintenant. J’ai lu , il y a cinq ans, que les médecins ont découvert
le facteur rhésus. Depuis ce temps-là, maman, je ne cesse de me demander si ce
n’est pas mon sang qui a tué mon amie. Vous vous rendez compte, maman ?
J’ai peut-être tué mon amie. »
    « Je ne sais pas, Blanche, si tu te
souviens de mon retour à Saint-Tite quand j’étais allée reconduire Rose aux
États-Unis. De toute façon, ça n’a pas d’importance. J’étais allée voir Berthe
au cloître. Je l’ai insultée. Tu savais que Berthe était morte mais je n’ai
jamais osé te dire qu’elle s’était pendue. Par ma faute. Tu te rends compte,
Blanche ? J’ai peut-être tué mon amie. »
    Blanche offrit un sandwich à sa mère. Émilie l’accepta,
y prit deux bouchées et le lui remit.
    – Pourquoi est-ce que papa boite , moman ?
    – À cause d’un accident d’auto.
    – Quand est-ce que c’est arrivé ?
    – Mon Dieu… ! attends. On habitait
l’école du haut du lac…
    « Pas besoin de m’en dire plus, maman. Je
gagerais que c’est arrivé quand vous êtes partie en pleine nuit de tempête et
que l’oncle Ovide nous a tous conduits chez la grand-mère. Pourquoi, maman,
pourquoi est-ce que vous ne nous avez jamais dit la vérité ? Nous aurions
compris. Vous êtes allée voir l’homme que vous avez toujours aimé, notre père,
et vous ne nous en avez jamais parlé. Jamais. Vous êtes absolument impossible à
comprendre, maman. Vous nous avez toujours donné l’impression que vous disiez
tout, mais c’est faux. Vous ne disiez rien. Vous n’avez jamais voulu me dire
non plus pourquoi vous êtes partie à la hâte quand j’enseignais avec vous. Vous
êtes disparue pendant un an et jamais, jamais
vous n’avez donné d’explications. Vous êtes impossible à comprendre, maman.
Tellement, tellement secrète. »
    « Des fois, Blanche, je me suis demandé
pourquoi tu étais partie pour Montréal quelques semaines après mon retour
d’Abitibi. Je n’ai pas envie de te raconter cette histoire de fou. J’aime mieux
que tu n’aies que des bons souvenirs de ton père. Mais après ton départ,
Blanche, quand tu as commencé tes études à l’hôpital Notre-Dame, tu m’as
expédié beaucoup d’argent. Je savais que tu faisais sept dollars par mois. Des
fois, j’en recevais vingt. Tu es absolument impossible à comprendre, Blanche.
Tellement, tellement secrète. Parfois, j’étais si inquiète que je me demandais
si tu ne vendais pas tes faveurs. C’est fou, je le sais, parce que je savais
que tu n’aurais jamais trouvé le temps de le faire. Je n’ai jamais osé te le
demander. Tu es tellement, tellement secrète. »
    L’obscurité avait envahi le wagon et Blanche
alluma les lampes. Elle se réinstalla devant sa mère après lui avoir frotté le
front et la nuque. Sa mère s’abandonna à ses mains.
    « Depuis le mariage d’Alice, personne ne
m’a touchée. Ça fait du bien, Blanche. Si tu savais ce que j’ai fait… Mais que
c’était agréable ! Il m’arrive de penser que vous autres, les jeunes
femmes d’aujourd’hui, vous n’avez pas autant de plaisir que celles de ma
génération. Jamais tu ne m’as parlé de tes amours avec Clovis. Je sais que tu
en as mais il n’y a jamais rien qui transpire. Je trouve que c’est la même
chose pour tes sœurs. Dans mon temps, on ne se gênait pas autant. Pendant mon
voyage de noces, mon beau-frère est venu frapper à la porte. On était nus comme
des vers. Ça nous faisait rire de
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