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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche
Autoren: Arlette Cousture
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le sais. Et je vais vous injecter la morphine
dont vous allez avoir besoin pour cesser de hurler contre ce corps qui va vous
anéantir. »
    La locomotive entra en gare. Émilie s’était
endormie. Avant que sa mère n’en ait connaissance, Blanche lui essuya les
larmes qui coulaient sur ses joues. Elle essuya ensuite les siennes et se
moucha discrètement.
    – Moman, moman, réveillez-vous. On est
arrivées.
     

Épilogu e 1er janvier 1946
     
     
     

     
     
     
    La nuit était glaciale. Blanche, Clovis, Paul
et Émilien se faufilèrent l’un derrière l’autre sur le quai de la gare, chacun
perdu derrière les nuées de condensation que faisait sa respiration. Blanche,
encore plus pâle que d’habitude, s’immobilisa devant le wagon de la poste. Elle
avait refusé que le corps de sa mère soit transporté dans un wagon de
marchandises.
    Le train crachait sa vapeur que le froid
décuplait, au point que Blanche avait l’impression d’avoir suivi sa mère et
d’être avec elle sur un nuage. Ils entendirent le bruit d’une porte qu’on
forçait. Le froid en avait paralysé les pentures. La porte s’ouvrit enfin et
deux hommes roulèrent le chariot sur lequel avait été déposé le cercueil
d’Émilie. Blanche regarda son frère Paul, qui avait baissé les yeux et
murmurait un Requiem. Elle renifla sa peine que le froid rendait encore plus
lourde. Sa mère était morte le 28 décembre. La dernière phrase qu’elle avait
dite était : « À c’t’heure que mes reins me tuent, je viens de me
souvenir du secret de la petite Charlotte. Elle avait dit à personne que
j’avais fait pipi dans mon tiroir. » À partir de cet instant, elle n’avait
plus ouvert la bouche sauf pour chercher l’air que ses poumons refusaient
d’absorber.
    Blanche lui avait tenu la main jusqu’à ce
qu’elle sente qu’il n’y avait plus de vie dans ses doigts qui serraient
toujours les siens. Elle lui avait fermé les yeux et l’avait préparée comme
elle avait fait, quinze ans plus tôt, avec la grosse femme de l’hôpital. Mais
jamais, pendant la demi-heure que son travail avait duré, elle n’avait repensé
à cette horrible soirée. Elle avait lavé le corps de sa mère avec autant de
délicatesse que celui de ses filles. Elle avait même vérifié la température de
l’eau, la mettant plus chaude que tiède, comme l’avait toujours aimée sa mère.
Elle l’avait même savonnée et parfumée avec son eau de toilette.
    Ses frères et sœurs, unanimement, avaient
accepté que les funérailles fussent chantées à Outremont, par Napoléon.
Maintenant, ils rouleraient dans ce train pour voyager une dernière fois avec
elle. Ils y étaient tous, même Clément, que la fin des hostilités avait sorti
du bois. Jamais, depuis leur départ de Shawinigan, ils n’avaient voyagé
ensemble. Jamais, depuis leur départ de Shawinigan, l’accordéon de leur mère ne
leur avait manqué autant.
    Demain, ils l’enterreraient à Saint-Stanislas.
Elle avait spécifié qu’elle ne voulait pas pourrir dans la terre de Saint-Tite.
Elle avait même exigé qu’Émilien lui promette qu’il écrirait « Émilie
Bordeleau » et non « Pronovost » sur sa pierre tombale. Émilien
avait juré.
    Les hommes glissèrent le cercueil et fermèrent
la porte bruyamment. Blanche sursauta. Sa mère détestait le bruit.
    Clovis avait suggéré que les conjoints des
enfants d’Émilie les laissent partir seuls pour enterrer leur mère. Ils avaient
accepté. Il embrassa Blanche et elle suivit ses frères jusqu’au wagon qu’ils devaient
prendre. Elle y monta et tous, instinctivement, reprirent la même place que
celle qu’ils avaient occupée vingt-huit ans plus tôt : Rolande, à gauche
de l’allée, s’assit seule, tournant le dos à
la Mauricie ; Rose et Marie-Ange prirent place, l’une en face de l’autre,
sur les banquettes de l’autre côté de l’allée ; Émilien, Paul devant lui,
s’assit derrière Rolande, face à la Mauricie. Il tourna la tête à droite et
sourit à Clément qui, lui, montra le poing à Jeanne. Jeanne haussa les épaules.
Clément avait toujours montré le poing. Derrière Jeanne, Alice regardait
Blanche droit dans les yeux. Le bleu pâle des yeux d’Alice se confondit avec le
bleu marine des yeux de Blanche. Les larmes coulant au bord de leurs paupières
créaient quatre petites rivières. Paul, rapidement imité par ses frères et
sœurs, commença à fredonner Partons, la mer est belle au
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