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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche
Autoren: Arlette Cousture
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guerre, les gouvernements lui
semblaient trop s’occuper des femmes, qui, en temps de paix, étaient laissées à
leurs cuisines et à leurs chaudrons. À la fin de la première, le gouvernement
fédéral avait accordé le droit de vote aux femmes. Trop d’électeurs,
pensait-elle, avaient laissé leur peau en Europe. Elle avait refusé de voter.
En 1940, le gouvernement provincial, prévoyant qu’une génération de Canadiens
français serait sacrifiée, avait posé le même geste. Elle avait encore refusé
d’accorder sa confiance, ressentant de façon aiguë que les femmes devenaient la
cible privilégiée des politiciens. Elle les avait entendus leur dire de voter
comme ou contre leurs maris, selon le parti des orateurs et l’allégeance des
maris. À sa connaissance, personne n’avait fait appel à leur intelligence. On
se contentait d’essayer de les diriger. Jamais elle ne voterait. Mais elle
était allée aux urnes, chaque fois qu’elle avait dû le faire, pour annuler son
vote en mettant des croix vis-à-vis de tous les noms.
    Maintenant qu’elle n’avait plus que sa lecture
et quelques rares loisirs pour la distraire, elle comprenait que sa retraite la
vieillissait de deux jours à chaque jour. Les années s’étaient écoul ées aussi lentement que les grains de sable
dans un sablier. Maintenant que tous ses enfants étaient établis et qu’à leur
tour ils se préoccupaient de leurs enfants, que Rolande avait vingt-quatre ans
et avait davantage besoin d’un mari que d’une mère, elle se demandait comment
elle pourrait survivre à ces minutes d’immobilité auxquelles elle était
condamnée jour après jour.
    Émilie tourna la page du journal en se
mouillant le majeur et essuya discrètement l’encre de ses doigts sur sa jupe noire . Deux mots, gros et gras, attirèrent son
regard : « Institutrice demandée ». Elle lut et relut l’offre
d’emploi. On cherchait une institutrice pour enseigner aux enfants des
travailleurs du chantier de Rapide-Sept, près de Cadillac, en Abitibi. Elle
pensa à ses soixante-trois ans et se dit que personne n’oserait les embaucher.
Elle tourna en rond toute la journée, fiévreuse de rage contre le temps et
l’âge. Même pour l’Abitibi, elle serait partie. Elle aurait sonné sa cloche et
appelé les enfants. Elle aurait affûté ses crayons et inventé des dictées.
L’Abitibi, malgré ses moustiques, était certainement mieux que la morsure du
temps qui ne laissait aucun répit. Le soir venu, elle décida d’écrire pour
offrir ses services en détaillant toutes ses années d’expérience.
    La réponse ne tarda pas. On était enchanté et
elle pouvait commencer ses classes dès le mois de septembre. Elle n’en crut pas
ses yeux. Puis elle comprit. Sur un chantier où il y avait des familles et des
hommes célibataires, on préférait certainement une vieille femme comme elle à
une jeune institutrice de vingt ans.
    Rolande la suivit et rencontra à sa descente
de train un jeune homme fort gentil qui lui offrit de s’occuper de sa
bicyclette. Rolande en roucoula et Émilie pressentit que sa dernière fille la
quitterait. Quoique exigus, les quartiers des employés étaient plus que
salubres. Émilie ne s’en plaignit pas et Rolande non plus.
    Seule Blanche avait émis des doutes quant à
l’à-propos de sa décision. Émilien, Jeanne et Alice n’étaient que trop heureux
de savoir leur mère à proximité. Émilie ne communiqua pas avec Ovila,
respectant son propre souhait de ne plus le revoir. Elle pensa à la façon dont
la vie manipulait les destins à son gré. Après avoir combattu pendant des
années, Émilie se retrouvait en Abitibi, à proximité de cinq de ses neuf
enfants si elle comptait Clément, et toute proche d’Ovila aussi. Mais toute sa
famille avait éclaté. Émilien et Jeanne étaient à La Sarre, Alice à Rouyn, Rolande à Cadillac, Blanche à Outremont, Rose, Marie-Ange
et Paul à Montréal, Clément… quelque part.
    Mais tout cela changerait encore. Rose lui
avait annoncé qu’elle avait eu une demande en mariage d’un veuf, père de deux
enfants, et qu’elle avait l’intention d’accepter. Rose irait donc vivre à
Joliette. Georges, le mari de Marie-Ange, s’était porté volontaire dans l’armée
malgré sa solide cinquantaine, pour essayer de redonner une vie confortable à
sa femme et à sa fille. Plus personne n’avait les pieds dans la terre de la
Mauricie. Personne, elle en était certaine, n’y
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