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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas
Autoren: Hubert Prolongeau
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un
plaisir intense. Il n’habitait plus le village, mais près de la garnison, vivant
maintenant dans l’aisance, assumant avec cynisme les devoirs de sa charge. Rapidement,
des soldats l’avaient accompagné dans sa mission.
    Simon était moins concerné que d’autres par
les dures années que traversait le village. Il possédait peu de terres, et on
avait toujours besoin d’un potier. Son travail, apprécié, se vendait jusqu’à
Tibériade. Deux enfants lui étaient nés depuis qu’il avait épousé Ciborée, une
femme du village proche de Magdala : une petite fille de quatre ans et
celui pour qui il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une tendresse toute
particulière, son fils aîné, le petit Judas.
    Judas avait neuf ans. Il était beau, quoique
frêle, de cette beauté uniforme qu’ont les enfants avant que les traits adultes
ne se fixent : de grands yeux noirs, des cheveux bouclés, un petit nez et
des mains aux doigts longs et effilés qui, plus que tout, ravissaient son père.
Il les sentait aptes, plus que les siennes, un peu courtes, à prendre la terre
et à en faire jaillir les vases, les pots, les anses, que lui peinait parfois à
créer.
    Il avait mis le petit au travail dès son plus
jeune âge, lui donnant en guise de jouets des morceaux de glaise à façonner. Au
début, l’enfant avait adoré. Avec l’imagination de son âge, il étirait de longs
filaments de terre, sculptait des formes, allait parfois jusqu’à figurer un
animal. Puis il s’était lassé et avait préféré des jouets en bois. Son père en
avait été déçu. Il lui avait pourtant fabriqué lui-même ce qu’il voulait :
des bonshommes aux membres liés par de la paille, quelques animaux que Judas s’amusait
à reconnaître, un soldat vite devenu son jouet préféré. Mais il n’avait pas
désarmé : il lui avait appris à mélanger l’argile et les marnes, à réduire
le retrait de l’argile en y ajoutant de la silice, à modeler en bloc la pâte. Et
il lui avait fabriqué un tour à sa taille.
    Tous les matins, père et fils s’asseyaient
ensemble. Quand Simon venait de terminer un vase particulièrement réussi, il le
donnait au petit en exemple de ce qu’il pourrait lui aussi faire un jour. Transmettre
son savoir avait à ses yeux une importance extrême. Judas trouvait somptueux ce
qu’avait fait son père, mais se sentait avec un petit désespoir d’enfant
incapable d’en faire autant un jour. La terre s’écrasait entre ses petits
doigts pourtant si fins, il n’arrivait pas à maintenir la base sur un rythme
régulier, et son père, aussi doux soit-il, allait jusqu’à se fâcher, sans que l’enfant
comprenne pourquoi d’un coup cette voix qu’il aimait prenait les accents
sombres qu’il détestait.
    Ce matin-là, leur travail fut brutalement
interrompu. Il régnait un brouhaha inhabituel dans le village, où déjà certains
revenaient de leurs champs appauvris par la sécheresse. Simon prit Judas dans
ses bras. Le petit respira cette odeur de terre et de sueur qu’il avait appris
à aimer.
    Le bruit venait de
devant chez Barnabé, l’un des cousins de Simon. Il comprit tout de suite ce qui
se passait en voyant l’âne lourdement bâté, le cheval gris sellé et les trois
soldats romains. Devant l’animal, il aperçut la mine honnie du « marqué ».
    « Tu dois encore deux cent cinquante
deniers. Si tu ne paies pas tout de suite, j’emmène ton âne. »
    Zaïre parlait haut et fort, savourant chaque
syllabe avec volupté. Les villageois s’étaient rapprochés et les protestations
commençaient à fuser. Déjà la semaine précédente ils avaient eu la visite du
collecteur, et déjà ils avaient eu à régler l’impôt dû par tête. Aujourd’hui, c’était
la taxe foncière que Zaïre venait réclamer. Mais Barnabé n’avait pas pu : trop
de terres, pas assez de rendement. Un délai lui avait été accordé, absurdement
court. L’automne qui pointait avait tué les espoirs de l’été, et tous savaient
qu’ils ne pourraient s’acquitter de leurs dettes.
    Simon sentit venir la catastrophe. Plus tard, il
se demanda comment Zaïre, sans doute grisé par son importance, avait pu lui
aussi ne pas s’en rendre compte.
    Le collecteur tenta d’entrer dans la maison, mais
Zacharie, propriétaire d’un petit verger, lui en interdit l’entrée. Les soldats
romains, mal à l’aise, avaient la main sur la garde de leur arme, et l’entouraient.
    « Tu n’entreras
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