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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas
Autoren: Hubert Prolongeau
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son amour, elle condamnait
le mariage, jetait le déshonneur sur sa famille. En temps normal, son châtiment
aurait été cruel. Mais les temps n’étaient plus normaux, et tout se dissolvait
dans la souffrance des cent bouches happant l’air.
    Le centurion tenta un discours.
    « Vous êtes punis par ces mains qui se
sont dressées contre Rome, par ces pieds qui vous ont fait croire que vous
pouviez fuir. »
    La foule gronda. Certains manquèrent céder à
la provocation, et il fallut à nouveau que les plus raisonnables prennent la
parole pour calmer les esprits.
    Le vent charriait des odeurs de corps suants, de
sang, d’excréments. Autour des têtes, des vautours de plus en plus audacieux
tournaient.
    Judas et Ciborée cherchaient Simon, le père de
l’enfant, mais ne le trouvaient pas. Ils remontèrent plusieurs fois la foule, s’arrêtant
parfois pour offrir à une de leurs connaissances l’aumône d’un regard.
    Il se trouvait plus loin sur la plaine, derrière
trois palmiers. Il n’y avait là que huit croix. C’étaient les meneurs de la
révolte. Parmi eux se trouvait Juda le Gaulanite, qui l’avait démarrée.
    Simon avait les pieds cloués de chaque côté d’un
tronc d’olivier, les bras attachés à la traverse. Ses pouces étaient contractés :
un nerf lésé par le passage du clou, enfoncé entre deux os dans les poignets… Le
visage était déjà déformé par l’agonie. Le poids du corps pesait tellement sur
le thorax que l’asphyxie menaçait. Les muscles étaient tétanisés.
    Un centurion autorisa la femme et l’enfant à
approcher.
    Le père de Judas regardait en l’air comme s’il
tentait de rattraper son souffle. Ciborée enlaça ses jambes, et il se pencha
vers eux. Une lueur de bonheur apparut sur ses traits torturés.
    Puis elle s’agenouilla devant son fils.
    « Judas, n’oublie jamais cela. Ce qu’a
fait ton père était juste. »
    Jamais elle n’avait paru à ce point approuver
Simon. Judas se souvenait pourtant des longues disputes qui les opposaient sur
les risques qu’il prenait. Il réalisait seulement aujourd’hui combien
finalement ils étaient en accord. À son tour, il tendit une main vers les
jambes de son père, mais interrompit son geste. Simon comprit son dégoût et lui
adressa ce que l’enfant reconnut comme un sourire. Il parlait difficilement, articulant
à peine.
    « Ne sois pas triste, mon fils. Je meurs
pour une noble cause. »
    Il reprit son souffle, arrachant chaque mot de
sa poitrine.
    « Judas, je n’ai pas grand-chose à te
dire. Tu es un enfant courageux. Tu connais la misère de notre pays. Mais Dieu
est avec nous, et nous luttons. Ne te laisse jamais dicter ta loi par un autre
que Lui. Sois-Lui fidèle, à Lui et à notre terre. Tu vas vieillir beaucoup
cette nuit, mon fils. Tu découvres en même temps la tristesse et la révolte. Ne
garde que la deuxième, mais fais qu’elle ne t’abandonne jamais. Le pire est de
dormir sa vie. »
    Déjà les mots ne sortaient plus de la bouche
tordue qu’un par un. Il lui fallut longtemps pour arriver au bout de ces
quelques phrases, tant sa position le faisait suffoquer.
    Il eut un gémissement plus fort que les autres.
Tentant de se redresser, il venait d’appuyer sur ses plaies.
    « Je te laisse ta mère. Ta mère et ta
terre. Tu es l’aîné. Tu me remplaceras. »
    Judas ne savait que dire, totalement dépassé
par la solennité du moment.
    La voix du père était de plus en plus rauque. Alors
soudain il hurla.
    « Je vous aime », puis, dans une
plainte : « Je ne veux pas mourir. »
    Ce dernier cri, cet aveu de faiblesse, libérèrent
Judas. L’enfant put enfin laisser couler ses larmes.
    Au coucher du soleil, les soldats arrivèrent
armés de gourdins et cassèrent les tibias des condamnés. Sans plus d’appui, les
corps s’affaissaient, la respiration devenait impossible, et ils mouraient
rapidement. Cet arrêt mis à des souffrances qui duraient habituellement trois
jours interdisait aux suppliciés qui en auraient encore été capables de
profiter de l’obscurité pour s’enfuir. Un coup de lance finissait d’achever le
travail quand il semblait que l’homme était mort. Les familles furent chassées.
    Seul le petit groupe des meneurs n’eut pas
droit à ce traitement. Le plus résistant tint trois jours. Le père de Judas
mourut le lendemain en début d’après-midi, après plus de vingt-quatre heures d’agonie.
Nul ne s’en aperçut de prime abord : il
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