Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit
Autoren: François Bellec
Vom Netzwerk:
crécelles et les tambours. Le gouverneur réclama à nouveau le silence.
    — Servez votre vice-roi et aimez votre archevêque. Ayez confiance en eux, ayez confiance en vous. Attendez l’avenir avec sérénité. Je vous promets de revenir défendre les Indes avec humilité et ferveur mais avec encore plus de force. Adieu vous tous !
    Il ajouta à voix basse :
    — Que Dieu vous garde.
    Dom André se retourna vers les dignitaires qui l’accompagnaient et écarta les bras dans un geste de résignation.
    — Sous réserve que le Seigneur me donne la force de revenir. Voire même d’atteindre seulement le Portugal. Appareillons maintenant, messieurs. Le temps m’est compté et Goa est pressée elle aussi.

    La salve d’artillerie donna le signal des carillons, des pétards et des vagues de ola  ! qui balayèrent la rive comme une risée. François s’était juché sur un ballot de bois de cannelle, se tenant d’une main à un hauban pour pouvoir se pencher au dehors. Margarida devait être sur le balcon de sa résidence, masquée par les cocotiers. Asha était sûrement comme convenu sur la plage du quartier des pêcheurs mais il y avait là-bas trop de monde pour la distinguer. Ses deux femmes étaient invisibles, mais il les savait là. C’était bien. Deux papillons, un mordoré et un petit blanc voletaient en se chahutant. Entrant dans son champ de vision, ils s’approchèrent de lui, lui frôlèrent le visage et s’enfuirent droit vers la terre. François agita gaiement vers eux son bras libre en leur criant :
    — Au revoir Margarida ! Au revoir Asha !
    Il était sûr à ce moment même qu’il serait d’une manière ou d’une autre de retour à Goa dans quelques courtes années. Le Ciel ne pourrait trop longtemps lui interdire ce droit. Leur accorder le bonheur aussi de le voir revenir.

Nossa Senhora da Penha de França manqua couler bas le 11 février de la nouvelle année 1610 au moment d’embouquer le canal de Mozambique. La caraque piquait lourdement du nez dans une mer formée à contre-vent. L’eau entrant en cataracte par ses écubiers, on fut heureux de l’alléger en hâte en précipitant par-dessus bord comme une insupportable nuisance quatre cents quintaux de cannelle, de girofle et d’autres marchandises d’un prix exorbitant. Tous les hommes valides y prêtèrent la main, dans un élan collectif de sauvegarde dont on se congratula, le danger écarté. Que valaient quelques boisseaux d’épices inutiles quand leurs vies étaient en jeu ?
    Le cap de Bonne Espérance ayant été franchi difficilement, la Mesa et le Pão, la Table et le Pain de sucre, des reliefs fameux de l’Afrique australe défilèrent sur tribord un mois plus tard, le dimanche 14 mars, dans une longue houle amicale poussant vers Lisbonne et sous un joli ciel. Au cours de la grand-messe, le chapelain tonna contre la croyance idolâtre que le rejet de quelques colis de denrées superflues aurait évité leur naufrage, alors qu’ils devaient bien évidemment leur salut à l’intercession de leur sainte patronne. Son sermon fulminant acheva d’exaspérer des ouailles déjà critiques. On dénonça à grands cris l’ordre aberrant de jeter une fortune àla mer. Les conversations tournèrent toute la semaine autour de ce désastre et l’on fustigea l’imbécillité des couards qui y avaient prêté la main.

    Jean ne quittait pas le chevet du gouverneur qui s’affaiblissait chaque jour. François se joignait à lui quand on portait le malade prendre l’air sur la dunette, à l’abri du vent. Ils éprouvaient l’un et l’autre une immense compassion pour dom André qui s’animait de sursauts de vitalité pour leur raconter inlassablement l’empire. Ils avaient compris tous les deux, depuis leur premier entretien au palais, que le gouverneur les tenait pour les seuls confesseurs sincères de ses angoisses. Ils s’efforçaient sans retenue d’être dignes de sa confiance.

    Leur dernier entretien eut lieu le 21 mars. Il faisait un petit air frais de beau temps durable. À la demande de Mendonça, Jean avait rapporté sous son bras les Chroniques des Indes qu’il lui avait confiées en lui recommandant de les lire avec attention. Allongé sous deux couvertures de laine, le gouverneur parlait avec efforts, d’une voix rauque.
    — Dom Henrique n’entendait pas conquérir un empire. Avec l’accord intellectuel des juristes, des moralistes et des théologiens, il voulait plutôt établir un
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher