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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit
Autoren: François Bellec
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faire carrière ici.
    François fit un effort pour sourire.
    — Pourquoi pas ? Le destin est insondable. Il arrange d’abord d’innombrables faits, anodins et disjoints en apparence, et puis leur conjonction accidentelle rend inévitable un tournant de la vie. Une chance à saisir ou au contraire un drame. Ou la rencontre d’hommes et de femmes qui n’auraient jamais dû se croiser. Ou leur séparation.
    — Est-ce une chance ou un désastre ? Ils ne le savent pas encore.
    — Mais ils n’y peuvent rien. Si ?
    — Non. Ils n’y peuvent rien. Penses-y plus tard, François, quand tu te sentiras devenir fou de ne pas avoir fait ce qui, en réalité, échappait à ton pouvoir.

    François commençait en effet à réaliser l’anormalité de son destin. Dans le pays de Dieppe, la rencontre d’un homme et d’une femme avait pour cadre naturel un village ou un bourg, voire un quartier. Les gens du haut bourg ne fréquentaient pas ceux du bas bourg et la rive gauche méprisait la rive droite comme l’adret regardait de loin l’ubac. Les mésalliances commençaient à la frontière d’un chemin ou d’un rempart. La formation des couples s’exerçant dans un espace de rencontre de quelques lieues carrées, les élus n’avaient pas beaucoup de choix. Du moins étaient-ils assurés d’une vie sans surprise, encadrée, rassurée par les règles sociales de leur communauté. Il avait eu le privilège exceptionnel d’échapper au sort commun. Il venait de constater que, de Rafaela la Lisboète à Asha l’Indienne, les filles de son milieu social enjolivaient le monde entier. Margarida était la preuve que l’amour pouvait même se glisser sous les barrières dont s’entourait la haute société. Alors, pourquoi le monde et la société le renvoyaient-ils méchamment l’un et l’autre à son quartier de Dieppe ? Était-il interdit de transgresser la règle ?

    Sur l’ordre exprès de dom André, Jean et François furent logés sous la dunette avec la cinquantaine d’officiers et de domestiques de sa maison. On leur avait affecté deux des six couchettes d’une chambre analogue à celle occupée par les femmes à l’aller. Ils regrettaient leur cahute privative aérée de Monte do Carmo mais ils y étaient plus à l’abri. Et puis, leurs compagnons de voyage, trois jésuites retour de Chine et Álvaro Païs, le secrétaire chinois du gouverneur laissaient augurer des conversations fabuleuses jusqu’à faire apprécier la longueur du voyage. Leur condition était exceptionnellement confortable puisque quatre Anglais expulsés comme eux gisaient à fond de cale fers aux pieds.

    L’appareillage de Nossa Senhora da Penha de França fut confirmé au dimanche 28 décembre. Elle déraperait à huit heures du matin à la remorque de canots à avirons, pour profiter du courant de jusant poussant vers Panjim où elle attendrait que se lève la brise de terre du soir pour tirer un bord vers le large.

Au moment de prendre les remorques et de relever l’ancre, la Mandovi autour de la caraque était couverte de l’habituel semis d’embarcations serrées comme un tapis de jacinthes d’eau. Almadies et manchuas pavoisées arboraient pour la plupart des pavillons frappés de la croix du Christ. Derrière les bruyantes manifestations des musiciens et des pétards, on comprenait que le silence régnait au contraire sur les berges où la foule n’avait jamais été aussi dense. Les Goanais venus saluer leur gouverneur avaient tous la gorge serrée. Dom André Furtado de Mendonça se tenait nu-tête sur le plus haut étage de la dunette, entouré de ses officiers. Il était drapé dans une cape de velours noir brodée d’argent qui semblait inutile par cette belle journée mais sous laquelle il grelottait. Il demanda silence d’un geste et le vacarme s’éteignit miraculeusement de proche en proche.
    — Mes amis, je rentre au Portugal pour informer le roi de la situation des Indes. J’ai trop longtemps servi et aimé cette terre magnifique, son peuple riche de ses différences, ses colons courageux, la foi ardente de ses missionnaires pour imaginer la quitter sans retour. Sitôt ma mission achevée, je reviendrai à la tête des renforts de troupes et d’armes dont nous avons besoin.
    Sa voix roulait sur le fleuve. On avait l’impression qu’elle résonnait à travers la ville, le long des berges, jusqu’au tréfonds des Indes. Des acclamations éclatèrent, stimulant les instruments à vent, les
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