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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps
Autoren: Robert Margerit
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léger, d’approcher Mounier, de bavarder avec lui, de rire !… Qui sait ? peut-être y prenait-elle plaisir en songeant qu’un autre garçon, pendant ce temps, souffrait mille morts d’être dédaigné par elle !… Eh bien, il allait lui démontrer qu’elle se trompait fort si elle croyait lui avoir brisé le cœur.
    Dans sa robe crème à petites fleurs, Léonarde sortait de sa chambre.
    « Je te suis » déclara Bernard d’un ton ferme.
    Elle se garda de faire aucune remarque. En bas, elle prit le bras de son frère, et le sentit crispé. Ils quittèrent le clos sans rien dire, traversèrent le village. L’odeur des fruits en tas, qui allaient servir à fabriquer le cidre, parfumait tout le hameau. Dans le désœuvrement de ce jour, les paysans étaient assis devant leurs chaumines, échangeant de lentes paroles dans leur patois. Des enfants crasseux jouaient autour d’un fumier.
    Les chiens dormaient à l’ombre. Des vaches remuaient leurs chaînes dans les étables. Sur un côté de la placette caillouteuse et sale où stagnaient des flaques de purin, le soleil frappait en plein la maison Dupré, toute blanche derrière sa grille. Son crépi neuf encore, ses encadrements de moellons bien jointoyés, son orgueilleux toit d’ardoises, ses mansardes au-dessus d’un étage, contrastaient vivement avec la pauvreté des masures rustiques écrasées sous leur chaume ou des tuiles moussues. Par-devant, un jardin de fleurs, par-derrière, un verger profond l’isolaient de ce voisinage.
    Quand Bernard et Léonarde inquiète arrivèrent au château, Lise était assise près de sa sœur M me  Naurissane, avec les dames. Bernard salua en évitant de voir la jeune fille. Les hommes, leur partie terminée, avaient repris une discussion non moins traditionnelle, chaque dimanche, que le piquet. Adossés dans des fauteuils de bois et d’osier peints en gris et vert, M. Dupré, très corpulent, la figure rouge, molle avec des bajoues, des sourcils gris buissonneux sous lesquels éclatait, entre les paupières pochées, le bleu de gentiane – mais brouillé par l’âge – des yeux de sa fille cadette, M. de Reilhac tout en finesse, Jean-Baptiste Montégut, son long visage honnête et bon appuyé sur deux doigts, le front dégarni par la quarantaine, écoutaient Claude Mounier faire le procès des ministres et de la Cour. Il y mettait une âpreté peu conforme à la rondeur habituelle de ses façons. C’était un garçon de vingt-sept ans, guère moins grand que Bernard et comme lui bien découplé, mais plus charnu, déjà guetté par l’embonpoint. Son habit bleu, ouvert sur une veste et une culotte jaune paille, sa cravate de mousseline très blanche accentuaient la clarté de sa peau où le sang transparaissait, ce qui donnait au jeune avocat un air particulièrement frais, bien lavé, en quelque sorte appétissant. Avant qu’il n’eût fait ici une apparition aussi inquiétante qu’inattendue pour Bernard, il lui était des plus sympathiques. Malgré leur petit écart d’âge joint à leur différence de condition, il existait entre eux une familiarité due à ce qu’ils se trouvaient être à Limoges les deux plus forts joueurs de paume. La salle de la rue Banc-Léger les avait vus souvent s’affronter ou s’associer dans des parties auxquelles applaudissait la jeunesse bourgeoise et même aristocratique. Le goût séculaire de ce jeu, passé un peu de mode depuis que le roi Louis XIV avait lancé celle du billard, restait assez vif chez les Limougeauds pour abolir, dans son domaine, la distance entre les classes. Pris de plus en plus par sa profession, Mounier avait maintenant abandonné l’éteuf et la raquette.
    Il s’interrompit dans son discours, pour saluer Léonarde, adressa un signe amical à Bernard qui eut quelque peine à le lui rendre. M. de Reilhac relançait déjà l’avocat.
    « Vous disiez, mon cher Mounier ? »
    Il reprit avec décision le fil de ses propos :
    « La retraite de M. de Brienne, le rappel de M. Necker sont assurément deux victoires. Nous sommes cependant loin d’avoir partie gagnée. Je me demande même si Brienne, avec son imbécillité rétrograde…»
    M. Dupré l’arrêta en levant une main épaisse que les rhumatismes commençaient à déformer aux articulations.
    « Tout beau, Claude ! Nous lui devons l’essentiel, ne l’oubliez pas. C’est bien Brienne qui a fait avancer la convocation des États. Sans lui, il nous aurait fallu
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