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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps
Autoren: Robert Margerit
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soupira Léonarde, je comprends, quoiqu’il ne me plaise guère de te savoir seul sur la route avec tes pensées, pendant une heure.
    — Ne te tracasse pas, ma bonne. Plus je m’éloignerai, mieux ça ira. Le temps de me nettoyer un peu, et je pars.
    Ils entrèrent ensemble dans la maison. Elle ne comportait au rez-de-chaussée qu’une seule pièce, à la fois cuisine – avec sa grande cheminée de bois noirci par la fumée, sa rôtissoire, sa batterie de cuivres luisant dans la pénombre – et salle à manger. Assez vaste, grossièrement dallée de granit, elle était fraîche mais peu claire sous son plafond sombre et bas. Les fenêtres ébrasées dans de véritables murailles de torchis ne donnaient pas beaucoup de lumière. En face de la cheminée s’ouvraient les portes d’une entrée de cave, d’une resserre. Un escalier partant de l’angle conduisait à l’étage composé de deux chambres où les lits, dans leurs pentes de serge rouge, et quelques meubles très rustiques, en bois fruitier, se détachaient sur la nudité des murs blanchis à la chaux.
    Tandis que Léonarde changeait de robe pour aller rejoindre son mari chez les Reilhac, Bernard, dans l’autre chambre, se rafraîchissait la figure. « Si j’avais pu ne jamais venir ici ! » songeait-il amèrement. Pour pêcher la truite dans l’Aurence au lieu d’aller avec ses amis taquiner les poissons blancs de la Vienne, au port du Naveix, il s’était mis, ce printemps-ci, à suivre sa sœur et Jean-Baptiste. Sans ce changement dans ses habitudes, il n’eût jamais rencontré Lise. La jeune fille, son éducation terminée, en ville, au pensionnat de M lles de Brettes, vivait toute l’année ici avec ses parents. M. Dupré s’était fait construire à Thias une jolie demeure, en se retirant du négoce. Lise allait parfois à Limoges, chez sa sœur Thérèse, mariée au conseiller Naurissane, maître de la Monnaie. Un garçon comme Bernard n’avait aucun accès à ce milieu.
    Il resserra ses cheveux dans le nœud qui les retenait sur la nuque. Par la fenêtre ouverte devant lui, il apercevait à peu de distance en contrebas la maison Reilhac. Hormis son pigeonnier à tourelle surmontant le logis du jardinier, ce « château » n’était rien d’autre qu’une bâtisse en torchis, d’un seul étage, plate sur ses deux façades, modestement couverte en tuiles. Du côté du chemin montant, tortu et cahoteux, qui traversait le hameau, une cour où vaguait la volaille précédait l’habitation. L’autre façade donnait de plain-pied sur une terrasse à la française, peu étendue mais belle avec ses boulingrins bien verts, son bassin où l’eau cascadait en tombant d’une fontaine à vasque. Un sully ombrageait un coin de la demeure. Bernard pouvait voir la société réunie sous cet énorme chêne comme sur la scène d’un théâtre de verdure. Les attitudes, les couleurs – le vaste habit chamois, presque jaune, de M. Dupré, celui de Jean-Baptiste, tabac, les amples robes claires, le blanc des cheveux, les bras demi-nus – se détachaient sur le bleu vert des fonds agrestes. Autour d’une table, les hommes faisaient leur partie de piquet. Près d’eux, M me  de Reilhac causait avec M me  Dupré et M me  Naurissane – Thérèse –, venue visiter ses parents. Dans le calme campagnard, le bruit des voix portait loin. Il arrivait jusqu’à Bernard, avec parfois une note plus forte, quelques mots distincts, un rire.
    Les Reilhac, « seigneurs de Thias », étaient des bourgeois de robe. Antoine de Reilhac avait succédé à son père dans la charge de lieutenant général du Roi pour la sénéchaussée, ce qui faisait de lui le premier magistrat du Présidial. Âgé de trente-neuf ans, il était parfaitement simple et affable. Au printemps, il quittait avec sa famille leur hôtel de la rue Ferrerie pour passer la belle saison à la campagne.
    Mounier se trouvait parmi les joueurs de cartes. Tout à coup Lise parut, sortant de la maison avec M lle  de Reilhac, petite personne de onze ans. La douleur remua comme une bête dans la poitrine de Bernard. Il s’écarta violemment, tourna le dos à la fenêtre. Les yeux fermés, appuyé des deux mains au lit, il fut, un instant, sur le point de ne pouvoir ravaler des sanglots qui lui montaient à la gorge. Vite, l’indignation chassa cette faiblesse. Quoi ! Lise pouvait se rendre au château ! Elle était capable de supporter la compagnie, de tenir sa place, le cœur
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