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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps
Autoren: Robert Margerit
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bien tort de négliger pour vous. Elle m’aura vite fait oublier votre inconstance.
    — Brisons là ! déclara Lise sans réprimer cette fois sa colère. Nous n’avons plus rien à nous dire.
    — Qui vous retient ? »
    Il lui tourna le dos et s’assit au bord de l’étang où se reflétait pour la dernière fois leur image. Arrachant une tige de jonc, il se mit à la déchiqueter. Lise restait là, frémissante. En venant ici pour lui dire qu’ils ne devaient plus se revoir, elle espérait encore elle ne savait quel sursis, quel inimaginable miracle. Peut-être l’imminence de la séparation inspirerait-elle à Bernard quelque trait qui les sauverait. Au lieu de quoi, il l’avait insultée. Néanmoins, à l’instant de briser l’ultime lien, elle tremblait, tout son être tremblait de douleur et de désespoir. Un sanglot la suffoqua. Elle allait fondre en larmes. Relevant à deux mains sa longue jupe, elle s’enfuit en secouant les pleurs qui ruisselaient à présent sur ses joues.
    D’un élan, Bernard s’était relevé, prêt à courir après elle. Il se reprit. La gorge nouée, le cœur tumultueux, il regarda cette silhouette dont il avait souvent et si tendrement guetté l’apparition dans l’ouverture de la haie, s’en aller pour toujours. Elle avait franchi la chaussée. Déjà ce n’était plus sur le vert du pâturage qu’une tache claire voltigeante, un papillon que la lumière poudroyante mangeait, et qui disparut dans l’ombre du chemin creux.
    Le visage enfoui entre les mains, le garçon s’allongea dans l’herbe. Au-dessus de lui, le vent léger enlevait aux ormes leurs premières feuilles sèches. Elles se posaient sur l’eau où elles se mettaient à voguer comme des barques. Des risées poussaient cette flottille vers la queue de l’étang. Là-bas, un pivert frappait méthodiquement un tronc, et l’écho répercutait ce tap-tap. Avec les croassements des corneilles qui tournaient aux abords du village, c’étaient les seuls bruits. Tout à coup, elles se laissèrent dériver les unes après les autres au fil d’un courant mystérieux. Le ciel se vida de leurs rondes et de leurs cris.
    Bernard, non moins brusquement, s’était redressé. Raflant le panier et la canne à pêche dont il ne s’était pas servi, il se hâta de quitter ces lieux. Au moment de s’enfoncer à son tour dans le chemin, il se retourna malgré lui, l’œil et le cœur aimantés par une haie, un arpent de prairie. Là, quatre mois plus tôt, allant, sur la bienveillante invitation de M. de Reilhac, pêcher dans l’étang du château, il avait aperçu pour la première fois Lise Dupré. Avec M lle  de Reilhac, elle faisait moisson de jonquilles. Elle avait transformé en panier à fleurs le grand chapeau de paille qu’elle portait suspendu au bras par les rubans. Elle riait avec sa petite compagne. Soudain, elle était devenue grave en regardant le jeune homme qui les saluait et la contemplait. Le dimanche suivant, ils s’étaient retrouvés au même endroit, au même moment, mais seuls. Et ensuite, tous les dimanches…
    Il se mordit les lèvres. D’un dernier regard, il embrassa, dans la lumière à la fois dorée et mate, tout le vallon bleui d’ombres sous les frondaisons, les châtaigniers moutonnant sur la remontée des pentes derrière l’étang. Enchâssé entre les ormes, les vergnes en boules et les joncs, le miroir d’eau reflétait au milieu le ciel pâle. C’était le bleu même des yeux de Lise. Vivement, Bernard s’enfuit. Il sauta dans le chemin : un raidillon couvert par les ramures des hêtres. Quelque fil d’humidité y serpentait toujours entre les cailloux blonds. La mousse, les fougères se disputaient ses talus de terre jaunâtre couronnés par des buissons de ronces qui retenaient la laine des moutons et où noircissaient à présent les mûres. Lise en était gourmande. Le dimanche précédent, ils en avaient fait ensemble la cueillette, ils riaient de se voir les lèvres barbouillées. Tout, ici encore, lui parlait d’elle. Un jour, elle avait buté sur cette racine et failli tomber. Il l’avait retenue dans ses bras, il l’avait sentie tout entière. Un peu haletante, troublée, elle levait vers lui son visage, ses dents luisaient dans l’ombre rose de sa bouche. Quelle tentation ! Mais il avait pour Lise une adoration telle qu’elle la défendait de toute convoitise. L’idée de la toucher, de l’embrasser comme les autres filles, ne
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