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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps
Autoren: Robert Margerit
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d’étamine, ces murs blancs, nus, entre lesquels la nudité de l’ensorceleuse Babet concentrait sur sa blondeur fringante la lumière de la chandelle. Brusquement, comme la page d’un livre qui se tourne d’elle-même, tout ce passé bascula, abandonnant Bernard au souci d’un mystérieux avenir, aux exigences militaires immédiates. Il s’endormit préoccupé par la mauvaise qualité des fournitures, surtout des souliers. Ils allaient certainement lui valoir mille ennuis.
    À l’aube, dans une brume piquante exhalée par la Vienne et noyant le flanc de l’Abbessaille, les pentes de l’Évêché, il entrait aux minables casernes avec le sergent Sage : un frère de Babet, qui l’aidait à porter sa caisse. Chez les volontaires, les officiers ne possédaient ni domestiques ni chevaux. Les lieutenants-colonels allaient à pied comme tout un chacun. Jourdan arriva, faisant véhiculer sur son propre charreton sa cantine par le commis qui allait aider M me  Jourdan, en l’absence de son mari, à tenir la boutique. Quant à lui, il apportait purement et simplement le drapeau, roulé, appuyé sur l’épaule. Un officier de la ligne eût frémi devant un pareil irrespect des plus sacrés usages. Oui certes, mais pour l’instant on avait autre chose à faire que de songer au cérémonial. D’ailleurs, nul n’avait prévu de donner la moindre solennité au départ des « héros ». Seuls personnages officiels, Pierre Dumas et Longeau prirent la peine de descendre jusqu’aux Petites-Maisons. Le maire Nicaut, trop occupé, sans doute, à chercher des voix pour les élections imminentes où Louis Naurissane s’annonçait déjà triomphant, négligea de venir dire au revoir à ses amis jacobins. De toute façon, ils ne pourraient voter pour lui.
    Quand on eut chargé dans les deux voitures du bataillon les bagages, le fourniment de l’armurier, le nécessaire du chirurgien, plus un maladroit qui avait trouvé moyen de se fouler la cheville deux jours plus tôt, les sergents et les caporaux commencèrent à donner de la voix pour activer leur monde. Les volontaires remplissaient de bleu, blanc, rouge, du noir et rouge des bicornes, la ruelle cabossée dont les maisons misérables s’écartaient, au bas de la pente, sur la perspective de la tour précédant la cathédrale voilée par la brume. Les hommes du contingent limougeaud, logés jusqu’à présent chez eux, étaient accompagnés de fiancées ou d’épouses, de parents, qui mettaient à son comble le désordre avec leurs embrassades et leurs adieux. « Rassemblement sur la place Saint-Gérald, dit Jourdan aux capitaines. Que je n’y voie pas un civil ! » L’état-major acheva de gravir la ruelle, avec le bagage et les quelques pelotons réunis. Les sous-officiers se mirent à leur tâche de chiens du troupeau. Il fallut patienter pendant que les tambours battaient interminablement le rappel. « Bon sang de sort ! quels troupiers ! pestait Dalesme. Dans la ligne, ils les auraient senti pleuvoir, les coups de canne ! » Enfin, tous les volontaires furent groupés sur la place devant la petite église. On fit l’appel par compagnies, elles se formèrent à la diable en colonne sur trois rangs. Les officiers et leurs sous-ordres eurent encore de la peine à établir un alignement présentable. Sans vouloir l’impossible, il fallait sortir de Limoges à peu près convenablement.
    Peu à peu, le bataillon se fixa dans l’immobilité, dans le silence. Alors le tambour-maître fit entendre le bref roulement qui précède un ordre du chef de corps. « En avant », lança celui-ci. Ensemble, les capitaines ordonnèrent : « Marquez le pas. » Les souliers se mirent à frapper le sol assez régulièrement. «  Une-deux, une-deux » , scandaient les caporaux. Puis les commandements « En avant… Marche ! » s’égrenèrent à mesure que, rang par rang, les compagnies partaient.
    Dans le roulement des tambours, on monta, sous les arbres jaunis du boulevard Sainte-Catherine, vers la place d’Aine. Les rares passants regardaient à peine la troupe. Les bruits militaires n’attiraient plus que les gamins : depuis deux ans, on avait assisté à trop de défilés, de parades en uniforme. Hormis leurs proches, personne ne se dérangeait pour voir partir ces volontaires turbulents dont les Limougeauds – et d’abord les administrateurs du Département – se sentaient fort débarrassés. On avait satisfait tant bien que mal à la loi.
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