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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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assez bien.
    Marie-Berthe, dite Mabé, sainte et martyre. Son grand bonheur aurait été qu’on la décapite, l’éventre, la découpe et l’éparpille. Elle se rattrapa comme elle put. Je la compris mieux quand, vers onze ans, je trouvai dans la bibliothèque, perdu entre deux gros livres, sans doute des Hugo ou des Balzac paternels, un opuscule de Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce . Par beau temps, j’emmenais souvent ce livre avec moi, dans mes pérégrinations au bord de la Seine, pour en lire quelques pages, au milieu de la beauté du monde. Ma mère en avait souligné des passages au crayon, comme papi aimait faire, lui aussi.
    Grâce à Simone Weil, je découvris les vertus du détachement et du renoncement, que je voyais à l’œuvre tous les jours chez ma mère absorbant en silence les colères paternelles ou se servant la dernière à table, quand elle ne laissait pas sa part de gâteau à l’un de ses rapiats d’enfants. Depuis, il me semble que je m’abreuve à la même source qu’elle chaque fois que je relis les Traités et Sermons de Maître Eckhart, la Vie écrite par elle-même de sainte Thérèse d’Ávila ou les Œuvres spirituelles de saint Jean de la Croix.
    Hormis La Pesanteur et la Grâce , je n’ai jamais vu aucun de ces livres à la maison, mais maman parlait comme eux, au mot près, et se conformait à chacun de leurs préceptes. Se trouver en se quittant soi-même. Renoncer à tout pour prendre possession de soi. S’abaisser sans cesse afin de s’élever jusqu’à Dieu.
    Maman avait la religion du sacrifice et ne cessait de faire don de sa personne. À ses enfants, à ses élèves du lycée, aux voisins malades ou dans la peine. À tout le monde. Son abnégation frisait l’hystérie.
    Des années plus tard, longtemps après la mort de maman, j’eus l’un des chocs de ma vie en lisant l’autobiographie de sainte Marguerite-Marie Alacoque. C’était ma mère qui me parlait. Avec ses mots, ses obsessions. Le cœur serré, je l’entendais, du fond de son sépulcre, à travers les paroles que chantait la religieuse, après son arrivée au monastère de la Visitation, à Paray-le-Monial, en 1671 :
     
Plus on contredit mon amour
Plus cet unique bien m’enflamme
Que l’on m’afflige nuit et jour
On ne peut l’ôter à mon âme
Plus je souffrirai de douleur
Plus il m’unira à son cœur.
     
    C’est dans cette autobiographie que Marguerite-Marie raconte qu’un jour, ne souffrant plus sa petite nature dégoûtée par un rien, elle ne put se défendre de nettoyer le vomi d’une malade avec la langue, puis de le manger en disant à Dieu : « Si j’avais mille corps, mille amours, mille vies, je les immolerais pour vous être asservie. »
    Une autre fois, alors qu’elle avait torché une malade atteinte de dysenterie, Marguerite-Marie ressentit une si forte répugnance qu’en partant verser le pot, elle décida de se punir et d’y tremper la langue, puis d’en remplir sa bouche. Elle prétend qu’elle l’aurait avalé si Dieu ne l’avait arrêtée.
    Du maman tout craché. À la maison, c’était la préposée aux crottes et elle roulait toujours de grands yeux extasiés devant les colombins de ses enfants, au fond du pot. Il s’en fallait de peu qu’elle ne plonge son nez dedans. Je me suis laissé dire qu’à la Libération, elle n’avait pas été une infirmière très bégueule. Elle ne se faisait jamais prier, depuis, pour faire la toilette des malades ou des morts. Elle supportait fort bien, de surcroît, de vider le tonneau d’excréments de la tinette familiale. Ma mère adorait la merde, parce qu’elle adorait expier, pour tout, pour rien.

5
     
    Relisant les pages qui précèdent, je me demande si je ne suis pas tombé dans le travers si souvent geignard des récits intimes. À quelques exceptions près, ils sont l’œuvre de vaniteux, de vaticinateurs ou de pleurnichards qui battent leur coulpe sur les poitrines des autres en racontant tout le mal qu’on leur a fait.
    Moi aussi, j’ai fait du mal. Notamment à mon père. Comme je l’ai déjà dit, je ne lui ai quasiment jamais adressé la parole. Je lui ai même toujours tourné le dos, fût-il à terre. Longtemps après que ma mère, la première concernée, lui eut pardonné ses raclées d’antan, je refusai de l’acquitter et même de commuer la peine à laquelle je l’avais condamné : le silence à perpétuité. Bien trop accaparé par l’idée de me venger, je gardais sans
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