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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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faisais semblant d’hésiter parce que j’avais peur. Mon cœur battait comme un poing contre les parois de ma poitrine et je gardais les dents serrées, malgré le bonbon à la menthe qu’il tendait vers moi pour me tenter. Je me souviens très bien de ce bonbon. Il était transparent, légèrement bleuté, dans un emballage froissé.
    J’avais un mauvais pressentiment. À cause du gros silex qui gisait à côté de lui. Je craignais, à tout instant, qu’il ne le prenne pour m’écraser la tête. Son expression méchante, que je retrouverai plus tard chez certaines personnes avant l’amour, n’avait rien pour me rassurer.
    Je ne m’offris pas à lui mais je ne me refusai point. Il se crut donc autorisé à se servir et n’eut droit pour la peine qu’à l’ombre de moi-même : sitôt la chose au contact de mes lèvres, je perdis conscience. Je ne saurais dire combien de temps je restai dans cet état. Mais j’imagine qu’il dut bien s’amuser avec moi, car quand je me réveillai, un moment plus tard, j’étais tout courbaturé, comme si des armées de sabots m’étaient passées dessus.
    Je vis d’abord sa main. Il me caressait le visage avec la douceur de celui qui a eu son content d’amour. J’éprouvai tout de suite un sentiment de gratitude à son égard. Peut-être même ai-je ressenti l’envie de l’embrasser. Il ne m’avait pas tué et ne me tuerait plus. C’était tout ce qui m’importait. Je lui pardonnais tout pourvu qu’il me laissât la vie sauve. Ses yeux, de plus, continuaient de me dire tout son amour pour moi et je me sentais bien, sous ce regard.
    Je m’évanouis de nouveau. Sans doute l’émotion de me retrouver vivant, contrairement à ce que j’avais prévu. Quand je repris mes esprits, quelques minutes plus tard, j’étais perché sur ses épaules, le cœur au bord des lèvres. Il marchait à grands pas dans les hautes herbes du verger et j’étais comme un navire sur la houle, un jour de tempête. Il me déposa à la porte de la maison et je n’eus pas le temps de dire trois mots à ma mère que j’avais déjà rendu mon quatre-heures et le reste sur le carrelage de la cuisine.
    Peu après, quand mon père rentra du travail et qu’il apprit la nouvelle de la bouche de maman, en descendant de vélo, il poussa un cri affreux, un cri de l’autre monde qui résonne encore dans ma tête au moment où j’écris ces mots. On aurait dit que c’était lui qu’on venait de violer. Il courut au baraquement des voisins comme une bête furieuse. Il m’est souvent arrivé, depuis, de plaindre le pauvre garçon qui s’est fait casser la gueule par papa avant de passer, à ce qu’on m’a dit, quelque temps en prison.
    Je dois à la vérité de dire que je n’étais pas si malheureux d’avoir été violé. Je devins du jour au lendemain un personnage important que précédait partout ce silence un peu lourd qui est une marque de respect et auquel on n’a droit qu’à un âge avancé. Je sus aussi, pour la première fois de ma vie, que mon père m’aimait bien plus qu’il ne voulait me le faire croire.

7
     
    Même si je ne lui adressais jamais la parole, sauf cas exceptionnels, il arriva souvent à mon père d’essayer de me parler. Des années plus tard, par exemple, un jour que je sarclais les fraisiers du potager, il vint me rendre visite et, après m’avoir observé, l’air embêté, finit par me dire sur un ton faussement dégagé :
    « Tu as une sale gueule en ce moment. »
    Je ne répondis rien et continuai de sarcler en jetant de temps en temps un œil en biais dans sa direction.
    « Tu es en train de te pourrir la santé », reprit-il.
    Je fis celui qui ne comprenait pas de quoi il voulait parler et que rien n’empêcherait de terminer sa tâche. J’adorais désherber, quand les mains et les pieds se mélangent à la terre, qu’elle vous prend à la gorge avant de pénétrer en vous, par les lèvres ou les narines, on en est tout retourné. Ce jour-là, j’en suis sûr, je soufflais à pleine bouche une odeur humide de sperme, l’odeur de la terre normande quand on s’est donné à elle.
    « Tu t’es vu ? » demanda mon père.
    Non, bien sûr, il y avait longtemps que je ne m’étais pas regardé dans une glace. Sauf, parfois, pour percer un bouton d’acné, et encore, je me concentrais dessus, afin de n’avoir pas à contempler le reste : ce visage ahuri de pervers sexuel que je vomissais déjà. J’avais dans les quatorze ans
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