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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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suffocation qui, de temps en temps, me rappellent à l’ordre, je crois que je serais mort depuis longtemps d’asphyxie.
    Souvent, ma mère nous envoyait chez ses parents, à deux kilomètres de là, pour décompresser un peu. Ils habitaient un immense appartement au-dessus de l’imprimerie Allain, du nom de mon grand-père, un patron austère, le cheveu rare et lissé en arrière, les lunettes sévères, la moustache carrée, qui travaillait sans cesse et, comme pour s’en excuser, couvrait sa descendance de cadeaux.
    La plupart du temps, la générosité n’est que le déguisement de l’indifférence, une façon d’acheter sa tranquillité. Ça ne pouvait s’appliquer à papi, comme on l’appelait. Il avait une vraie bonté dans le regard et le sourire, une espèce d’ironie douce et attentive qui lui échappait, car il cherchait avant tout à donner de sa personne, même en famille, l’image d’une raideur intraitable.
    J’adorais papi. Il y avait chez lui quelque chose de pathétique à vouloir que ses vingt petits-enfants passent toujours une partie de leurs vacances d’été ensemble, avec leurs mères, dans une maison qu’il louait pour eux en Normandie ou en Bretagne. Ou à organiser des repas interminables où se retrouvaient, en plus de la famille, les pièces rapportées aussi bien que les cousins issus de germains. Il pouvait avoir l’air de rechercher, ainsi, une sorte de postérité. Mais il était bien trop orgueilleux pour être vaniteux.
    Il pressentait sans doute qu’un grand séisme, sa mort ou autre chose, dévasterait, un jour, tout ce qu’il avait patiemment construit au fil des ans. L’imprimerie, la famille, la dynastie. Il lisait trop les Anciens, Plutarque ou Platon, pour nourrir l’illusion de laisser une trace quelconque ici-bas. Il ne croyait pas plus en Dieu qu’en l’avenir. Ses enfants le découvrirent d’ailleurs avec une certaine consternation en prenant connaissance de son testament où il se disait chrétien mais pas croyant et demandait qu’on l’enterre en secret, à la tombée du soir. Il voulait passer directement de la maison au cimetière.
    Jusque-là, papi s’était toujours révélé un paroissien modèle, grand consommateur d’hosties. Je compris ainsi qu’avant leur mort, on ne sait jamais grand-chose des gens, même de son propre grand-père. Une fois montés sur la scène de la vie, ils continuent souvent de jouer, jusqu’à la dernière tirade, des personnages auxquels ils ne croient plus. Ne voulant pas faire scandale, il avait laissé ses héritiers juges d’exécuter ou non ses instructions. Ils mirent, bien sûr, un mouchoir dessus.
    J’ai parlé de la bonté de papi. Mais si sociable qu’il fût, il ne supportait pas que son autorité fût mise en question par qui que ce soit. Ni par les syndicalistes CGT qu’il virait sans ménagement. Ni par mon père qui travaillait dans son imprimerie, au « bureau de dessin », comme on disait. Je ne crois pas que papi ait abusé de sa position pour humilier son gendre, mais papa avait la contestation dans le sang, une contestation entretenue par sa passion pour des écrivains américains comme Upton Sinclair, John Dos Passos et John Steinbeck.
    Papa n’était pas marxiste. Il vouait même une haine sans merci aux communistes et à leurs compagnons de route qu’il accusait de semer la mort partout où ils passaient. Je l’ai entendu dire un jour qu’il craignait pour sa vie s’ils devaient arriver au pouvoir en France à la faveur de l’invasion du pays par l’Union soviétique. Une hypothèse qu’il envisageait d’ailleurs sérieusement. Mais en même temps, il abominait par-dessus tout les patrons ou tous ceux qui, comme mon grand-père, d’après lui, se croyaient — et c’était une de ses expressions favorites — « sortis de la cuisse de Jupiter ».
    Mon grand-père n’a sûrement jamais imaginé à quel point papa le détestait, qui, comme à son habitude, n’éructait contre lui que dans son dos, c’est-à-dire devant sa femme et ses enfants. Papa l’accusait de tout. De cupidité, d’avarice, de tyrannie, de mesquinerie. Pour ne rien arranger, il en était jaloux. Il ne souffrait pas la complicité entre papi et ma mère qui échangeaient sans arrêt des choses ensemble. Des livres, des journaux, des sourires ou des confidences à voix basse.
    C’est sans doute la raison pour laquelle il s’entendait si bien avec ma grand-mère maternelle. Ils communiaient
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