Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Violente Amour

La Violente Amour

Titel: La Violente Amour
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
l’œil fiché quand et quand sur les murs de Châtellerault où se
voyait encore la grosse brèche qu’y avaient faite ses canons, dont il usait
plus habilement qu’aucun général en ce siècle.
    — Rosny,
dit-il, qu’en est-il de ce passage sur la rivière de Loire que j’ai requis au
roi pour mes sûretés, si je le dois un jour proche encontrer, un traité avec
lui ayant été conclu ?
    — Le roi
tient la chose pour agréable, dit Rosny, et quant à moi, ayant pris langue avec
M. de Brigneux, gouverneur de Beaugency, laquelle est sur Loire petite mais
bonne ville, il m’a assuré que si la nécessité le voulait jeter ès mains de la
Ligue, pour lui il n’en serait jamais, mais mettrait incontinent dedans sa
ville quiconque il vous plairait de lui envoyer.
    — Voilà
qui va bien, dit Navarre.
    Et ayant posé
sur son écuelle d’étain la carcasse du chapon, et s’étant essuyé les mains à
une serviette qu’un page lui tendait, il but une grande goulée de son vin, et
revenant se camper, les gambes écartées, et un poing sur la hanche, devant l’aperture
de sa tente, il considéra Châtellerault en se grattant la tête.
    — Estimez-vous,
reprit-il en tournant vers nous son nez busqué et ses yeux perçants, et
envisageant tout ensemble Rosny et moi-même, comme si sa question se fût
adressée à nous deux : Estimez-vous que le roi ait bonne intention à mon
égard et qu’il veuille traiter de bonne foi avec moi ?
    — Oui,
pour le présent, dites-vous bien, Sire, dit Rosny, et n’en devez nullement
douter, car la nécessité de ses affaires l’y contraint, n’ayant d’autre remède
à ses dangers que votre assistance.
    Après quoi,
comme je m’accoisais toujours, Navarre attacha sur moi son œil fin, et me dit
de ce ton de cordialité bon enfant, par quoi il s’était fait autant d’amis des
gentilshommes qui le servaient :
    — Et vous,
Monsieur de Siorac, qu’en êtes-vous apensé ?
    — Sire,
dis-je tout de gob, il n’y a pas que la nécessité. Le roi vous aime, et vous
aima toujours, soyez-en bien assuré. Je vous le dis comme son serviteur. Je
vous le dis à vous, Sire, en toute déférence et loyauté comme à son dauphin
désigné, et je le dis aussi en tant que huguenot qui va à contrainte…
    À cette
expression qui voulait dire que j’oyais la messe du bout de l’oreille, Navarre
s’esbouffa à rire, non point comme mon bien-aimé maître, déclosant à peine le
bec, les doigts devant sa bouche, mais la gueule large ouverte, les mains aux
hanches et les tripes secouées.
    — As-tu
ouï, Roquelaure ? dit Navarre en s’adressant à un grand et gros
gentilhomme à trogne cramoisie, lequel était fort dévotieux à son service,
quoique catholique (mais d’une espèce tant tiède qu’on l’eût pu dire
froidureuse).
    — Sire,
dit Roquelaure, qui était réputé amuser Navarre par ses saillies, il y a beau
temps que je vous ai dit que cette contrainte-là, vous eussiez dû la subir pour
l’union et la paix du peuple de France…
    — Auquel
il est bien vrai que je porte une violente amour, dit le roi de Navarre avec
gravité et jetant un œil à Rosny, lequel avait fort sourcillé quand Roquelaure,
à sa franche et fruste façon, avait soulevé le point de la conversion du roi.
    Sur quoi,
Navarre, reprenant incontinent ses gaussantes manières, sourit, se tourna
derechef vers Roquelaure, et se tapant de la dextre sur le ventre, dit :
    — Roquelaure,
comment expliques-tu que j’ai un appétit d’ogre, depuis que le pape m’a
excommunié ?
    — Pour ce
que, Sire, dit Roquelaure, vous mangez comme un diable !
    À quoi le roi
de Navarre, et tous ceux qui étaient là rirent à ventre déboutonné, combien que
cette saillie ils l’eussent ouïe, à ce que j’appris, plus de cent fois,
Navarre, qui en était raffolé, la faisant répéter quand et quand à Roquelaure,
qui lui était ce que le fol Chicot était à mon maître. Et voyant dans l’œil de
Navarre, tandis qu’il s’esbouffait, je ne sais quelle malicieuse lueur, je
m’avisais que, bien trop sage politique pour prononcer jamais paroles
offensantes contre le pape (avec lequel il comptait bien se réconcilier un
jour) Navarre était bien aise, en son for, que ce fût un catholique comme
Roquelaure qui se chargeât de l’irrespect public, et soulignât urbi et orbi le peu d’effet qu’avait produit sur un souverain huguenot « le foudre
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher