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La Régente noire

Titel: La Régente noire
Autoren: Franck Ferrand
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je sais bien, pour ma part, qui sera sa prochaine victime ! Charles, croyez-en l’intuition de votre bonne-mère.
    Le connétable se sentait maintenant la proie d’un désarroi intense. Il avait toujours redouté la froide lucidité de sa marraine.
    — Madame serait bien capable, convint-il, de hâter notre malheur...
    — N’en doutez pas !
    — Elle me dessert déjà dans l’esprit de son fils... Elle voudrait m’écarter du pouvoir...
    — Je vous le dis !
    — Mais alors : que faire ?
    — Que faire ?
    L’ancienne régente passa ses longues mains blanches sur son visage.
    — Vous savez fort bien ce qu’il convient de faire.
    — Ne comptez pas sur moi, ma mère, pour m’en aller trahir le roi !
    — Mais enfin, qui vous parle de trahison ?
    — Ne comptez pas sur moi pour faire allégeance aux Espagnols et aux Anglais !
    La fille de Louis XI ne demeura pas longtemps interdite. Elle bondit vers son filleul et gendre, l’empoigna par la manche et, bousculant un prêtre, le ramena jusqu’au berceau mortuaire.
    — Regardez-les ! souffla-t-elle avec douleur. Voyez ce qu’est devenue la chair de votre chair ! Méditez, mon fils, et comprenez bien que ce n’est pas moi qui vous implore ; ce sont eux !
    Puis elle quitta la chambre ardente, laissant le père au chevet de ses jumeaux défunts. Il s’approcha, brisé, des petits corps, et remonta doucement sur eux les dentelles défaites, comme on borderait des enfants pour la nuit.

    Gravelines, juillet 1520.
    U lcéré par l’entrevue franco-anglaise du Drap d’or, l’empereur était allé rejoindre le roi d’Angleterre sur ses terres, entre Calais et Dunkerque. Il entendait s’assurer que son allié de Londres n’avait pas succombé aux avances des Français, et qu’il pourrait compter sur lui dans l’avenir. Leur tête-à-tête, de l’avis général, devait laisser l’image d’un ogre manipulé par un gnome.
    Le rôle du gnome était tenu par le jeune Charles Quint, contrefait, vêtu de noir et d’ombre. À vingt ans, il arborait déjà des traits tendus, graves, comme s’il mesurait à chaque instant le poids des grandes affaires. Son esprit n’était jamais en repos. Ce matin-là, il faisait les cent pas dans la chambre de son hôte, les mains croisées derrière le dos comme un inquisiteur.
    Dans la peau de l’ogre, massif et sanguin, la carrure d’un lutteur engoncée dans de riches brocards : Henry VIII, de neuf ans plus âgé. Lui s’était attablé pour dévorer des oranges, gourmandise apportée par son invité, et qu’il éventrait de ses ongles longs comme des griffes.
    Charles détournait les yeux du carnage.
    — François vous a-t-il semblé amoureux ? demanda-t-il sur le ton de la connivence.
    — Je dirais plutôt : galant !
    — On le dit fort épris de sa maîtresse...
    — Châteaubriant ? Twaddle 1  ! Elle sera remplacée tantôt !
    — Un prince qui aime autant les femmes est un prince vulnérable, conclut l’empereur.
    Les deux souverains s’exprimaient en français – ironie d’entretiens dirigés ouvertement contre la France.
    Charles Quint n’aimait rien tant que surprendre ses vis-à-vis, les ballotter au gré d’un propos dont lui seul maîtrisait les détours. Aussi aborda-t-il sans prévenir le vif du sujet.
    — Une campagne armée contre François I er n’est plus à exclure, soupira-t-il. En vérité, je crains même que la guerre ne soit imminente...
    L’ogre écharpait une énième victime. Le gnome poursuivit.
    — Dans le cas de telles hostilités, Votre Majesté se rangerait-elle à nos côtés ?
    Henry VIII détestait les mises en demeure. Il n’en feignit pas moins de trouver la question naturelle, et choisissant pour son invité la plus belle orange, la lui tendit d’un geste aimable.
    — Of course , tout dépendra du dispositif adverse, de sa préparation... De son commandement aussi.
    Charles remercia pour le fruit ; mais son regard en biais trahissait de la déception. Henry le comprit : l’on attendait de sa part une solidarité plus déclarée.
    — Les Français sont nombreux et braves, reprit-il, mais le fait est que pour l’heure, ils sont mal commandés. Leurs chefs sont avant tout des courtisans.
    — Nous nous sommes laissé dire, siffla l’empereur, que le connétable de Bourbon faisait pour notre cousin de France un bien dangereux capitaine...
    — Bien dangereux, confirma le roi d’Angleterre. Riche – trop riche ; puissant – trop
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