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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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craignais
qu’il ne fût tué ? Et pourtant, si nous l’avions empêché, il ne nous
aurait jamais pardonné. Je soupirai en serrant Marcelle contre moi. Pauvre
enfant ! Il lui fallait connaître ces moments atroces et douloureux, où l’on
craint pour la vie de l’être aimé… Elle aussi, comme nous toutes, dépendait de
la mine.
    Nous avons donc attendu, longtemps, soudées l’une à l’autre,
dévorées par l’anxiété. Je repoussais l’image qui, de temps en temps, dansait
devant mes yeux : Jean rampait jusqu’à l’adolescent, et puis, subitement, tout
s’effondrait sur lui. Je secouai la tête pour la chasser, je ne voulais pas penser
à une telle chose. Je croyais avoir touché le fond du désespoir lorsque Charles
était mort, mais je découvrais que si mon enfant, à son tour, m’était enlevé, ce
serait bien pis.
    Nous étions de plus en plus inquiètes à mesure que le temps
passait. Autour de nous, les femmes, les mineurs s’étaient dispersés. Quelques-uns
attendaient encore. Plus loin, les mains accrochées à la grille, une femme en
noir attendait, elle aussi, et l’anxiété était tellement visible sur son visage
que je me sentis proche d’elle. Était-elle la mère de cet adolescent, que mon
fils était parti sauver au péril de sa vie ?
    Serrées l’une contre l’autre, Marcelle et moi ne vivions
plus. Nous n’étions plus qu’un bloc d’angoisse.
    Enfin, après un temps interminable, nous avons vu un
mouvement se faire, là-bas, au bout de la cour. Et des mineurs sont arrivés, portant
un brancard sur lequel gisait un adolescent qui avait le visage en pleurs. Ils
s’approchèrent, et la femme en noir qui attendait près de nous se jeta sur l’enfant
en sanglotant. L’un des mineurs expliqua :
    — Il a été blessé, mais ce n’est pas grave. Il
est sauvé, Dieu merci ! Nous avons eu si peur !
    Marcelle et moi, nous nous sommes regardées, et la même
question se lisait dans nos yeux. Elle s’approcha du mineur le plus âgé, et
demanda avec une sorte de crainte :
    — Alex, dites-moi… Et Jean ?
    L’homme se retourna, nous aperçut. Il sourit à Marcelle, et
son visage noir rendit son sourire encore plus lumineux :
    — Il arrive, ne craignez rien. Vous pouvez être
fière de lui, il a sauvé ce petit. C’est quelqu’un de courageux, votre mari !
    Dans les yeux de Marcelle, je vis le soulagement et la
fierté que je ressentais moi-même. Elle dit, dans un souffle :
    — J’ai eu si peur !
    — Le voilà !
    Il venait vers nous, tout sourire, radieux. Alors qu’il s’approchait,
la mère de l’adolescent se jeta sur lui et l’embrassa en pleurant. Lui, gêné, la
repoussait doucement, disant qu’il n’avait fait que son devoir. J’étais fière
de mon fils. Il avait rendu un enfant à sa mère ; que pouvait-il y avoir
de plus beau ?
    Il nous rejoignit, nous prit toutes les deux dans ses bras :
    — Alors, demanda-t-il d’une voix rauque, ça va
mieux ?
    — Oh, Jean, gémit Marcelle. Comme j’ai eu peur, si
tu savais !
    — Il ne fallait pas avoir peur. Tu le vois bien, je
suis là.
    Il aperçut mes larmes, me gronda doucement :
    — Allons, ma petite maman, ne pleure pas ! Ton
grand fils est là, c’est fini maintenant.
    Tout bas, je dis, comme un reproche :
    — J’ai eu tellement peur, moi aussi. Oh, Jean, fallait-il
vraiment que tu y ailles ? Te rends-tu compte que tu as risqué ta vie ?
    Il me regarda avec gravité. Ses yeux me parurent plus clairs,
comme délivrés d’une hantise.
    — Je n’aurais pas pu le laisser. Lorsque j’ai vu
son regard plein d’épouvante, j’ai su avec certitude ce qu’il éprouvait, car je
l’avais vécu. Je me suis retrouvé à quatorze ans, prisonnier des ténèbres, et j’ai
ressenti la même angoisse qu’alors, la même panique impuissante et désespérée. Il
m’a été impossible de l’abandonner, comprends-le, c’était lui et moi que je sauvais
en même temps.
    Je n’ai pu que le serrer contre moi, avec tout mon amour de
mère.
    — Tu sais, lui murmurai-je, mon Charles serait
fier de toi.
    Il me regarda dans les yeux, et répliqua, sur un ton de
confidence :
    — Veux-tu que je te dise ? C’est pour lui
aussi que je l’ai fait.
    *
    A partir de ce jour, Jean fut accepté totalement par les
mineurs. Tous l’admiraient, ils avaient compris qu’il prenait réellement part à
leurs difficultés. Il en fut heureux, il les aimait, il voulait améliorer leur
vie,
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