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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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effrayant de monstres, et je sais que
j’avais peur. Je me recroquevillais, me blottissais sous les couvertures, fermant
les yeux et me persuadant que, si je ne les voyais plus, les monstres ne
viendraient pas me saisir.
    J’étais très peureuse. Je me souviens, entre autres, de la
terreur qu’exerçait sur moi le gros poêle en fonte de la cuisine. Tant que je n’étais
pas seule, il ne m’effrayait pas. Mais ma mère devait parfois s’absenter, le
plus souvent pour aller remplir ses seaux d’eau, à la pompe située au milieu de
la rue. Elle m’installait à la table, avec un jouet quelconque.
    — Ne bouge pas, Madeleine, me disait-elle, maman
revient tout de suite.
    J’obéissais sagement. Mais, dès qu’elle était sortie, le
poêle semblait doubler de volume, devenait plus noir, se faisait menaçant. Je n’osais
pas le regarder, mais je le savais là, et il m’effrayait. J’ai eu là mes
premières terreurs enfantines.
    Mon premier souvenir vraiment précis, c’est l’anniversaire
de mes cinq ans. Ce matin-là, je m’étais réveillée tôt. Dans mon lit, je m’amusais,
comme je le faisais souvent, à repousser de mes pieds, le plus loin possible, la
brique que ma mère plaçait toute chaude, chaque soir, entre les draps.
    Lorsque ma mère vint me chercher, je me levai, courus jusqu’à
la cuisine. Comme c’était aussi le jour de l’an, mon père était là. Nous avons
échangé nos vœux de bonne année en nous embrassant tendrement. Je me sentais
heureuse. Dans la chaude atmosphère de la cuisine, nous avons pris notre
déjeuner tous les trois. La seule présence de mon père faisait de mon
anniversaire une vraie fête. Il était si rarement là pour partager notre repas !
    Ensuite, ma mère me donna mon cadeau : une poupée en
chiffons qu’elle avait confectionnée avec des restes de tissus. Je me rappelle
l’émerveillement qui fut le mien lorsqu’elle me l’offrit. Elle devint ma grande
amie, nous fûmes inséparables. Elle dormait avec moi la nuit ; avec elle j’avais
moins peur dans l’obscurité. Je la possède encore, elle est bien usée, le tissu
est déchiré en de nombreux endroits, mais je ne peux me résoudre à la jeter ;
elle est le dernier vestige qui me reste de mon enfance, tout le reste a
disparu.
    Puis, comme tous les 1 er janvier, j’allai, avec
les autres enfants de la rue, souhaiter une bonne année dans chaque maison. On
nous donna des gâteaux, que les plus gourmands mangèrent sur place. Je ramenai
les miens chez moi, je les tendis à mon père :
    — Tiens, papa, tu les donneras à Tiennou, demain.
Tu lui diras que c’est de ma part.
    Tiennou était mon ami, un ami que je n’avais jamais vu. Je
le connaissais par les récits de mon père. C’était un des chevaux de la mine, et
mon père ne partait jamais au travail sans un sucre pour Tiennou.
    — Tiennou, disait-il, est un cheval
extraordinaire. Il est habitué à tirer son convoi de douze berlines ; si
Jules, le meneur, profite de l’obscurité pour ajouter une treizième berline, il
refuse de démarrer. Jules a déjà essayé plusieurs fois, et n’a jamais réussi. Tiennou
ne consent à tirer que ses douze wagons, pas un de plus !
    Il me plaisait qu’il fût si intelligent. Je l’en aimais
davantage. Comme j’aurais voulu le connaître ! À défaut, je me l’imaginais,
placide, fort, doux et bon. Sans l’avoir jamais caressé, je connaissais la
douceur de son museau, la tiédeur de ses naseaux.
    Je voulus que lui aussi prît part à mon anniversaire ; le
lendemain, mon père partit au fond de la mine avec, en plus de son « briquet [1]  »
habituel, un paquet de mes gâteaux pour Tiennou.
    *
    Je fus ensuite suffisamment grande pour aider ma mère. J’eus
la responsabilité d’un certain nombre de tâches, et j’en éprouvai un sentiment
d’importance et de fierté.
    Lorsque ma mère avait bien lavé le sol, je puisais, dans la
boîte prévue à cet effet, des poignées de sable blanc. J’en saupoudrais toute
la surface de la cuisine. Ensuite, je prenais le petit balai que m’avait
fabriqué mon père, et je m’amusais à dessiner toutes sortes d’arabesques, plus
compliquées les unes que les autres. C’était la coutume, beaucoup de ménagères
faisaient de même. Lorsque j’avais fini, je contemplais mon œuvre avec
satisfaction. Je restais près de la porte, et je disais à ma mère, qui vidait
les seaux d’eau dehors :
    — Attends, n’entre pas ! Laisse mes
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