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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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accompagner, la mère de Charles vint me chercher et m’emmena chez elle. Là,
je retrouvai Marie, ma compagne de jeux.
    Il faisait un temps affreux, il tombait une sorte de neige
fondue absolument glaciale. Nous étions dans la cuisine, près du feu, nous
jouions à la poupée. Nous nous amusions à habiller et à déshabiller à tour de
rôle ma poupée de chiffons, avec les habits que ma mère confectionnait au fur
et à mesure qu’elle avait des restes de tissu. C’était un jeu qui nous
passionnait beaucoup. Il nous amusa tout l’après-midi. Et la faculté d’oubli d’un
enfant est si grande que je ne pensais plus à la peine de ma mère, ni à ma
tristesse des jours précédents. La mère de Marie nous donna, pour goûter, une
tartine avec du sucre, que je mangeai de bon appétit.
    Et puis ; à la fin de l’après-midi, mes parents vinrent
me reprendre. Dès leur entrée, je ressentis de nouveau, en voyant leur
tristesse, le même accablement douloureux. Il ne m’échappa point que ma mère
avait les yeux rougis, et mon cœur d’enfant se serra.
    Pendant que nos parents discutaient, Marie me tira le bras :
    — Viens, jouons encore.
    Je secouai la tête. Il me semblait impossible de jouer alors
que ma mère avait pleuré ; toute envie de m’amuser m’avait quittée.
     
    Cette catastrophe, qui avait fait plus de mille morts, avait
profondément marqué toute la corporation minière. Une grève générale s’ensuivit.
Si j’eus la joie de voir mon père à la maison, elle fut de courte durée. Je
compris vite que sa présence n’était pas la même que celle qui, d’habitude, faisait
de chaque dimanche une fête. Il n’y avait plus de jours gais, tout le monde me
semblait triste, inquiet. Finies, les journées calmes avec ma mère, tout
occupées du ménage et de la maison. Supprimées, aussi, les soirées paisibles où
tous les trois nous étions réunis autour de la lampe. Maintenant, tous les
soirs on me mettait au lit, et de nombreux camarades de mon père envahissaient
la maison. Longtemps, avant de m’endormir, je les écoutais. Les mots « danger »,
« sécurité », « grève » revenaient souvent. Je les
entendais sans en comprendre le sens.
    Un soir, je me réveillai subitement ; quelque chose m’avait
tirée de mon sommeil. J’ouvris les yeux dans l’obscurité. Sans comprendre
pourquoi, je me sentais inquiète et étrangement oppressée. Je restai sans
bouger, et, après quelques instants, j’entendis le bruit qui m’avait réveillée,
un bruit étrange, étouffé, que je n’arrivai pas à définir.
    Je sentis une véritable angoisse me serrer la poitrine. Je
me redressai dans mon lit, prête à appeler, lorsque je les vis. La porte était
entrouverte, et, à la lueur du foyer, je les apercevais clairement. Ils étaient
là tous les deux, mon père assis sur une chaise, la tête courbée dans une
attitude d’infinie désespérance, et ma mère penchée sur lui.
    Elle lui parlait avec tendresse, avec douceur, de la voix qu’elle
utilisait envers moi-même pour me consoler lorsque j’avais un gros chagrin. Mon
père releva la tête, et je me rendis compte, avec un coup au cœur, qu’il
pleurait, et que le bruit qui m’avait réveillée était celui de ses sanglots. Je
fus bouleversée, remuée jusqu’aux entrailles par une vague d’émotion si
violente que j’eus envie de gémir, à mon tour, et d’ajouter, aux pleurs de mon
père, ma plainte d’enfant qui avait mal et qui ne comprenait pas.
    Une pudeur m’empêcha d’appeler. Ils se dirigèrent vers leur
chambre et je ne les vis plus. Je restai là, seule, solitaire et profondément
malheureuse.
    Cette scène me fit prendre conscience que mon père, que je
croyais fort et invulnérable, pouvait être aussi faible qu’un petit enfant. Cela
éveilla en moi une insécurité, une méfiance vis-à-vis du monde extérieur.
    La situation se détériorait de plus en plus. J’avais pris l’habitude
de faire les courses, pour aider ma mère, et j’allais au ravitaillement à l’épicerie
des mineurs, à l’entrée du coron. De jour en jour, je partais avec un peu moins
d’argent et je revenais avec un peu moins de marchandises. Nous étions pauvres,
et nous avions si peu d’économies qu’elles fondirent très vite. Alors nous
fûmes obligés de nous nourrir à crédit. Je partais au magasin sans argent, et
ma mère me disait :
    — Dis à Mélanie qu’on paiera après la grève.
    Mélanie,
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