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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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savoir
pourquoi, mon cœur se serra. Je sentis qu’il y avait quelque chose, et je me
fis toute petite dans un coin. Ma mère parla, et sa voix était rauque d’appréhension :
    — Jean, que se passe-t-il ?
    Mon père s’assit, lui tendit les mains dans un geste d’impuissance
et de consolation :
    — Louise, il y a eu une catastrophe, à Courrières,
à la fosse 2, un coup de grisou. Ils sont tous restés dedans. Les secours
sont en train de s’organiser. Il va falloir que j’aille aux nouvelles.
    Ma mère était devenue blanche. Deux de ses frères
travaillaient à la fosse 2 de Courrières, tous deux dans le même puits. L’un
d’eux, Marcel, le plus jeune, me faisait souvent sauter sur ses genoux ; je
l’adorais. Elle demanda, et il y avait au fond de ses yeux une angoisse si
insoutenable que mon père détourna la tête :
    — Est-ce qu’on sait quelque chose ?
    — Non, pas encore. J’irai demain, après le
travail.
    Ils en parlèrent toute la soirée. Mon père raconta ce qu’il
avait appris par d’autres mineurs. Je ne comprenais pas, j’étais encore trop
petite, mais instinctivement je sentais que c’était grave. Je n’osais pas
bouger. La soirée fut très différente des précédentes. Après le repas, mon père
ne me prit pas sur ses genoux comme il le faisait les autres soirs. Ma mère me
mit au lit tout de suite, me souhaita bonne nuit, m’embrassa, et s’en alla, me
laissant seule.
    Je fus longue à m’endormir. Je les entendis, longtemps, qui
parlaient, et leurs voix n’étaient pas comme d’habitude, elles étaient sourdes,
lourdes d’angoisse et de peur. Je ressentais leur inquiétude, sans bien en
comprendre la raison. Recroquevillée sous mes couvertures, je serrais ma poupée
dans mes bras, cherchant une consolation qui ne venait pas. Toute la soirée, je
me sentis très malheureuse. Je m’endormis le cœur gros de sanglots retenus.
    *
    Le lendemain et les jours suivants, après son travail, mon
père, avec une bicyclette empruntée au chef porion, partit pour Courrières. Il
ne revenait que tard dans la soirée, après une attente interminable sur le
carreau de la fosse 2. Il rentrait chaque fois profondément las et
découragé. En réponse au regard chargé d’angoisse de ma mère, il secouait la
tête avec tristesse, avec accablement : il ne savait rien de nouveau, les
frères de ma mère étaient encore au fond, beaucoup de mineurs n’avaient pu être
remontés ; les équipes de secours étaient inefficaces devant l’ampleur de
la catastrophe. Il faudrait faire appel à des sauveteurs allemands. Ma mère
soupirait, ne disait rien.
    Je la voyais maintenant continuellement triste. Dans la
journée, je n’étais plus que rarement seule avec elle. Il y avait toujours l’une
ou l’autre de nos voisines qui venait, discutait, essayait de la rassurer. Et, pendant
les rares moments où nous n’étions que toutes les deux, elle refusait avec moi
toute intimité. Parfois, je m’approchais d’elle ! J’aurais voulu la
consoler mais je n’osais rien dire. Elle me repoussait, me renvoyait à mes jeux,
et son attitude me faisait de la peine.
    Elle était sans cesse pâle, crispée, elle ne souriait plus. Je
l’entendais souvent soupirer. Je la suivais d’un regard triste, incompréhensif,
et, malheureuse de me sentir délaissée, je me croyais moins aimée.
     
    Après plusieurs jours mon père rentra un soir plus tard que
de coutume. Il pénétra dans la cuisine d’un pas lourd, le dos courbé sous le
poids de la fatigue et du désespoir. Il ne parla pas, mais, à son regard grave,
plein d’une tristesse et d’une compassion infinies, ma mère comprit. Je vis sur
son visage passer une sorte d’égarement. Elle se jeta dans les bras de mon père
et se mit à pleurer. Il la serrait contre lui, impuissant à la consoler :
    — Tous les deux, Louise, ils ont été tués, tous
les deux…
    Elle continua de pleurer, sans pouvoir s’arrêter. Elle se
laissa tomber sur une chaise et resta ainsi, la tête dans les mains, le corps
secoué de sanglots. Ce fut, pour moi, comme si mon monde basculait. Je me suis
précipitée vers ma mère, m’agrippant à sa jupe, et, sans comprendre, effrayée
de la voir pleurer, je me suis mise à pleurer avec elle. Elle m’a prise dans
ses bras, me serrant contre sa poitrine, et, étroitement enlacées, nous avons
mêlé nos larmes.
    *
    Ils allèrent à l’enterrement. Comme j’étais trop jeune pour
les
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