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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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    JE suis née, en même temps que le vingtième siècle, le 1 er janvier 1900, dans un petit village du Pas-de-Calais. Dans le coron où j’ai vu
le jour, tous les hommes étaient mineurs, de père en fils. Mon père n’avait pas
échappé à cette règle. Je fus son seul enfant. Il en fut heureux, préférant n’avoir
qu’une fille à des fils qui, tôt ou tard, auraient dû prendre le chemin de la
mine.
    Le travail de mineur était un travail dur, aride, et
dangereux. Moi, je n’ai connu que le sort des femmes : l’angoisse, l’incertitude,
l’incapacité de savoir si, chaque soir, l’être aimé reviendrait au foyer. Je ne
peux que rendre hommage au courage, à l’endurance de ces hommes qui sont
descendus dans les entrailles de la terre, bien souvent au péril de leur vie. Ils
ont formé une chaîne indestructible, où, à chaque maillon, est venu s’accrocher
celui de la génération suivante. Je ne sais pas s’il existe une autre
corporation d’ouvriers qui, au fil des années, a pu connaître autant de
catastrophes. Le destin qui, dès ma naissance, m’a placée dans ce milieu n’a
pas été tendre avec moi.
    Dès ma petite enfance, je fus familiarisée avec le dur
univers du mineur. Toute petite, encore presque un bébé, je ne reconnaissais
pas ce grand homme noir qui revenait le soir chez nous et de qui j’avais peur. Il
se lavait dans un coin de la cuisine où nous habitions, à l’abri d’un paravent
que ma mère installait uniquement en cette circonstance. Le miracle se
renouvelait chaque soir, qui faisait réapparaître, après quelques instants, mon
père venant vers moi, sagement installée sur une couverture à même le sol. Il
me prenait dans ses bras et me levait jusqu’au plafond, riant de mes cris de
joie et de peur.
    Notre maison était la dernière du coron. Le coron, c’était, autour
de la mine, des longues bandes d’habitations noires et tristes, toutes rigoureusement
identiques. La nôtre se situait au bout de la rue ; ensuite venaient les
champs. Aussi, en sortant de chez nous, le paysage était très différent selon
le côté où l’on regardait. À gauche, l’immensité verdoyante, les arbres, la
campagne, où, dès le printemps, chantaient les alouettes ; à droite, la
rue étroite et rectiligne avec ses deux rangées de maisons et, au bout, comme
seul achèvement possible à ce décor, la masse de la fosse, où travaillaient mon
père et tous les hommes du coron.
    Mon enfance ne fut pas malheureuse. Bien sûr, nous étions
pauvres, et, matériellement, je ne fus pas gâtée. Mais j’étais bien moins à
plaindre que certains autres enfants. Ma mère était couturière, et cousait pour
les autres femmes. Ge qu’elle gagnait s’ajoutait à la quinzaine de mon père, et
nous procurait une relative aisance. De plus, j’étais fille unique. À l’époque,
c’était pour mes parents réellement appréciable, car le salaire du père restait
le même, qu’il y eût un ou dix enfants à nourrir.
    Mes parents m’aimaient, je crois, profondément. Avec cette
pudeur particulière aux gens du peuple, ils n’extériorisaient pas leur
tendresse. Mais une sorte d’instinct me disait que j’étais aimée, et cela
contribua à faire de moi une enfant épanouie et équilibrée.
    Je garde de mes toutes premières années un souvenir attendri.
Une image me vient à l’esprit, toujours la même : je nous revois le soir, dans
la cuisine, après le repas. Mon père, souvent, s’installait près du foyer, avec
sa pipe qu’il fumait tranquillement, et se reposait de sa dure journée de
travail. Il se penchait vers moi en souriant, me tendait les bras :
    — Viens, Madeleine, viens avec papa.
    Je trottinais jusqu’à lui, ravie, heureuse. Je grimpais sur
ses genoux, me blottissais dans ses bras, me roulant en boule comme un chaton. Près
de nous, ma mère, à la lueur de la lampe à pétrole, raccommodait le linge, les « loques
de fosse » de mon père, toujours déchirées. Lorsque je repense à cette
scène, je retrouve le sentiment de bien-être et de sécurité que j’éprouvais tandis
que, la tête appuyée sur la poitrine de mon père, je m’endormais doucement en
suçant mon pouce.
    Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ma petite enfance. Des
images, confuses, me viennent pêle-mêle. Je me revois le soir, dans mon lit, seule
dans la chambre que j’occupais, près de celle de mes parents. Dans l’obscurité,
les meubles familiers prenaient l’aspect
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