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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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encourager Charles, ni l’aider.
J’avais envie de pleurer, je criai :
    — Arrêtez !
    Mais ils ne m’écoutèrent pas. M’entendirent-ils seulement ?
    Nous étions tous là, et je sentais un sentiment proche de la
détresse m’envahir, lorsqu’une grosse voix nous fit soudain sursauter :
    — Eh bien ! Que se passe-t-il, ici ?
    Je me retournai. Alphonse, le garde des mines, que nous
connaissions bien, était arrivé sans que nous l’eussions entendu.
    — Voulez-vous arrêter de vous battre, garnements ?
Vous n’avez pas honte ?
    Penauds, Charles et Albert se relevèrent. Ils n’étaient pas beaux
à voir, avec de la boue et de la terre jusqu’aux cheveux.
    — Chenapans ! Vous ne croyez pas que vos
parents ont déjà assez de soucis, avec cette grève, sans encore en ajouter ?
Allez, rentrez immédiatement chez vous, et que je ne vous y reprenne plus !
Sinon, gare à vous !…
    Obéissant, nous avons ramassé nos sacs de pissenlits, et
nous sommes repartis vers le village. Albert partit devant nous, en courant, non
sans m’avoir jeté auparavant un regard venimeux, chargé d’une violente rancune.
De ce jour, il me voua une haine farouche.
    Nous avons repris le chemin de la maison. Charles et Marie, tout
boueux, appréhendaient les reproches de leur mère, et j’étais peinée pour eux. Mais
il n’y avait dans nos cœurs aucun regret. Il nous avait paru naturel que Charles
se battît pour me défendre.
    *
    La grève s’éternisait. Le simple fait de vivre devint tout
simplement dramatique. Nous avions de moins en moins à manger, et donc de plus
en plus faim. Ma mère avait les joues pâles, les traits tirés ; mon père, de
caractère pourtant doux et paisible, devenait hargneux et impatient. Les
conversations entre mineurs étaient violentes.
    Il y eut des manifestations. Je pris l’habitude de les voir,
par centaines, sur le carreau de la fosse, soudés en une masse noire et hostile.
J’entendais dire que les syndicats et les patrons s’affrontaient, que personne
ne voulait céder. La révolte grondait sourdement, la haine s’exacerbait. Les
compagnies firent appel à l’armée, et Clemenceau envoya la troupe.
    Ce fut mon premier contact avec la violence. Il me marqua
profondément, et avec une intensité d’autant plus grande que je n’étais qu’une
enfant.
    Je me rappellerai toujours ce jour d’avril. Il faisait beau,
et nous en avions profité pour aller jouer sur le terril. Nous avons fait des
glissades, et puis, comme nous étions suffisamment nombreux, nous avons
organisé une partie de cache-cache. Je cherchais un endroit où me cacher, lorsque
Charles me prit par la main :
    — Viens, allons là-bas.
    Il m’entraîna, me fit faire le tour du terril, m’obligeant à
grimper de l’autre côté. Nous nous sommes accroupis derrière une berline
abandonnée là. D’où nous étions, nous dominions la fosse. Nous voyions, dans la
cour et devant les grilles, les mineurs rassemblés une fois de plus. Ils
semblaient à bout de patience, et certains d’entre eux discutaient violemment.
    Soudain, sans que rien ne pût le laisser prévoir, des
chasseurs et des dragons à cheval, arrivant du village, se précipitèrent vers
la fosse. Les mineurs reculèrent, en une houle furieuse. Je pouvais sentir leur
peur, et leur haine. Emplis d’appréhension, Charles et moi nous faisions tout
petits derrière notre chariot.
    — C’est la troupe, chuchota Charles.
    Je demandai, et ma voix était blanche d’une angoisse
vainement réprimée :
    — Que veulent-ils ?
    — Je ne sais pas. Peut-être que les mineurs
reprennent leur travail.
    La troupe s’était arrêtée, face à la foule des manifestants.
Il semblait y avoir une discussion, qui s’envenimait d’instant en instant. Un
grondement parcourut les rangs des mineurs, s’enfla, devint une clameur faite d’innombrables
cris de protestation. Je n’ai pas vu d’où elle venait, mais, soudain, une
brique fut lancée et frappa l’un des hommes à cheval.
    Ce fut comme un signal. Les mineurs, laissant éclater leur
rage, se mirent, d’un commun accord, à lancer toutes sortes de projectiles sur
la troupe. Je vis un des hommes du premier rang tomber, un cheval reçut une
pierre en plein poitrail et se cabra, hennissant de peur et de douleur.
    Alors, la troupe chargea. Ce fut une mêlée effroyable. Ils
se battirent férocement, le sang gicla, des chevaux tombèrent. Terrorisée, glacée,
je découvrais la violence
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