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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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moi à la fois une habitude
et un centre d’intérêt. Elle devint mon second foyer, et j’y passais mes
journées avec plaisir. Par tous les temps, je faisais quatre fois par jour le
chemin de la maison à l’école. Il y eut bien des fois où je rentrai trempée, ou
gelée. Mais c’était sans importance en comparaison de tout ce que l’étude m’apportait.
Tous les lundis matin, nous commencions la semaine avec une leçon de morale. J’adorais
l’histoire qui la précédait, elle illustrait toujours un principe du genre :
il ne faut jamais mentir, ou la gourmandise est un vilain défaut, ou encore l’union
fait la force. Ces principes nous aidaient à mener une vie droite, et à nous
bien conduire.
    Bientôt, je sus lire, écrire, compter. J’appris aussi à
parler français, car la langue que nous utilisions entre nous, dans le coron, était
le patois. Mes moindres moments de liberté furent occupés par la lecture. À la
maison, je me plongeais dans l’unique livre que nous possédions, L’Almanach
du pèlerin, que mes parents achetaient au colporteur chaque année. Je
finissais par le savoir par cœur. En ce temps-là, il n’existait pas d’illustrés
pour enfants, tout au moins chez nous. Aussi le peu que nous avions prenait
valeur de relique.
    Par la suite, M me  Blanche s’aperçut de ma
passion, et, pendant mes années d’école, même lorsque je ne fus plus dans sa
classe, elle me prêta des livres. Je les dévorais à une vitesse vertigineuse, avec
un plaisir ineffable. La lecture m’était devenue un besoin impérieux, une faim
qui exigeait sans cesse d’être assouvie.
    Les contes de fées éblouirent l’enfant que j’étais. Ils me
tirèrent de ma grisaille, m’apportèrent le merveilleux qui manquait à ma vie. Je
m’endormis plus d’une fois en rêvant à Cendrillon, à Blanche-Neige, ou au Petit
Chaperon rouge.
    Les histoires d’animaux me plaisaient beaucoup aussi. Ma
préférée était la Chèvre de M. Seguin. Je la trouvais profondément
émouvante, et si triste… Je l’ai lue et relue, et, à chaque fois, le sort de la
malheureuse Blanquette m’arrachait des larmes.
    Je n’ai jamais pu supporter la souffrance des animaux. Ils
représentaient pour moi des créatures pures et innocentes qui ne méritaient pas
de souffrir. Lorsque je voyais des garçons torturer de pauvres bêtes incapables
de se défendre, comme les oiseaux et les grenouilles qu’ils capturaient pour s’amuser,
j’en étais véritablement malade. C’est ainsi que je n’ai jamais oublié l’épisode
de l’ours.
    C’était à la sortie de l’école, un soir du mois de juin. Sur
la place du village, nous avions pris l’habitude de voir, de temps en temps, des
chanteurs des rues, qui chantaient les airs à la mode que tout le monde reprenait
en chœur, des joueurs d’orgue, des montreurs d’animaux savants.
    Ce soir-là, Charles nous attendait à la sortie, très excité :
    — Venez ! Venez vite ! Il y a un ours, un
montreur d’ours !
    Nous le suivîmes, sans hésiter, attirées par l’alléchante perspective
de voir un ours, un véritable ours, que nous n’avions encore jamais vu.
    — Vite ! Vite ! Dépêchez-vous ! criait
Charles.
    Nous courions à sa suite, tout essoufflées, le cœur battant
de crainte et d’excitation.
    Sur la place du village, un attroupement important nous
empêchait de voir quoi que ce fût. Charles, jouant des coudes, se faufila jusqu’au
premier rang, suivi de près par Marie et moi.
    Alors je pus le voir. Il était énorme, impressionnant. C’était
un grand ours brun, dressé sur ses pattes de derrière, qui se dandinait en
poussant des grognements que je trouvai terrifiants. Sur le moment, il me fit
peur. Dans son nez était passé un anneau, auquel était attachée une chaîne que
tenait son maître. Celui-ci faisait exécuter toutes sortes de tours :
    — Dansez !
    — Tournez !
    — Saluez !
    A chaque injonction, il tirait d’un coup sec sur la chaîne, et
l’ours obéissait, tournant gauchement sur lui-même, dansant d’une patte sur l’autre,
à la grande joie de tous les spectateurs.
    Peu à peu, j’eus moins peur, mais je ne pouvais pas, comme
les autres, rire et m’amuser. Un malaise me saisissait, que je n’arrivai pas
tout d’abord à définir. Et puis je vis le regard de l’ours, et je compris qu’il
me faisait pitié. Je remarquai qu’il sursautait chaque fois que son maître
tirait sur la chaîne, et j’eus mal
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