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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons
Autoren: Marie-Paul Armand
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s’estompait
progressivement, où une légère brise amenait une fraîcheur bienfaisante. Le
temps semblait s’arrêter. Le crépuscule, qui descendait sur le coron, l’enveloppait
de douceur. Le soleil couchant nimbait de ses derniers rayons la masse de la
fosse, rosissait les briques et mettait des étoiles d’or pourpre dans les roues
du chevalement, réussissant, par sa seule magie, à la doter d’un charme étrange
et poignant.
    Ces soirs-là, tout le monde se trouvait dehors. Les femmes, sur
le pas de la porte, parlaient de leurs enfants, de leurs problèmes, échangeaient
des recettes, se donnaient des conseils. Les hommes, accroupis dans une
attitude acquise au fond, fumaient silencieusement, profitant, de tout leur
corps, des derniers rayons du soleil, de la douceur de l’air, de ce dont ils
étaient privés au long de leurs heures de travail. Et nous, les enfants, nous
jouions, nous courions, nous faisions le tour des maisons, nous poussions des
cris, et notre présence trépidante rendait la rue plus jeune, plus humaine, plus
gaie.
    La vie ne m’a pas gâtée. Quand je regarde en arrière, je
revois bien des moments tristes, et même dramatiques. C’est pourquoi il me
suffit de penser à ces jours de mon enfance pour me dire que j’ai au moins
quelques souvenirs heureux, pleins de jeux, d’amour et de soleil.

2
    L’ANNÉE de mes six ans, pour la première fois de ma vie
– et ce ne fut, hélas, pas la dernière –, je connus la faim. Je ne
compris pas pourquoi, sur le moment. Ce n’est que bien plus tard que je me suis
rendu compte que, simplement, j’étais une victime du milieu dans lequel je
vivais.
    Cela commença un soir du mois de mars. Dans l’après-midi, ainsi
qu’elle le faisait chaque jour, ma mère avait fait chauffer de l’eau et préparé
le chaudron pour le bain de mon père. Mais l’heure passait, et mon père ne
rentrait pas. Ma mère s’inquiétait, devenait nerveuse, tournait dans la pièce, allait
à la porte et regardait dehors. Le moindre retard pouvait être lourd de
significations. Mon père le reconnaissait lui-même, quand il disait, en parlant
de son travail au fond :
    — Chaque jour, je sais que je descends, mais je
ne sais jamais si je remonterai.
    La nervosité de ma mère finit par me gagner. Sans savoir
pourquoi, je commençais à me sentir la gorge sèche, les mains moites. À la fin,
n’y tenant plus, ma mère me dit :
    — Mets ta pèlerine, Madeleine, et va au-devant de
papa. Va jusque Chez Tiot Louis, regarde s’il est là.
    L’angoisse faisait trembler sa voix. Il était rare que mon
père fût en retard ; il rentrait tous les jours à la même heure.
    Je sortis. Dans le soir qui tombait, je courus dans la rue. Il
faisait froid ; le vent me giflait le visage de ses rafales sèches et
brutales. Tout était désert. Ce fut en approchant de Chez Tiot Louis que
j’entendis le bruit des conversations. J’avançai timidement, collai mon nez à
la vitre. À cause de la buée, je ne vis pas grand-chose, mais il me sembla que
le café était plein. J’entrevis une masse confuse d’hommes noirs qui parlaient,
gesticulaient, criaient fort. Il m’était impossible de savoir si mon père était
parmi eux.
    Je restai là un bon moment, me demandant que faire, grelottant
dans le vent froid. Je ne pensais pas à repartir à la maison, je sentais
confusément combien ma mère serait déçue de me voir revenir seule.
    Je ne bougeai pas de mon poste d’observation. Enfin, après
de longs instants, trois hommes sortirent du café. L’un d’eux me vit. Il me
connaissait, il habitait notre rue.
    — Madeleine ! que fais-tu donc ici ?
    — J’attends papa. Dites, est-ce qu’il est là ?
    Sans me répondre, il rouvrit la porte. Criant pour dominer
le tumulte des conversations, il appela :
    — Hé ! Jean ! Viens, ta fille est là !
    Avec soulagement, je vis mon père s’avancer vers moi. Il se
pencha, me prit dans ses bras :
    — Madeleine, pourquoi es-tu ici ?
    Rassurée, maintenant, je n’avais plus froid. Mon papa me
serrait contre lui, tout était bien.
    — C’est maman qui m’a dit de venir. Elle s’inquiète.
    — Viens, nous allons rentrer.
    Il me porta jusqu’à la maison. Ma mère était sur le seuil, et
j’entendis son soupir de soulagement lorsqu’elle nous vit arriver.
    Nous entrâmes dans la maison, et mon père me déposa à terre.
C’est alors que je vis son expression : grave, inhabituelle. Sans
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