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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire
Autoren: Alain Marécaux
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À l’heure où je reprends ce récit, cinq ans après la parution de ce livre aujourd’hui réédité, je ne suis plus tout à fait le même homme. Voici tout juste dix ans, le 14 novembre 2001 au petit matin, la police nous a raflés, ma femme d’alors, nos trois enfants, pour nous séparer les uns des autres et nous jeter dans l’horreur d’Outreau, ce carnage judiciaire qui a broyé ma vie.
    J’ai d’emblée été présumé coupable, traité comme le dernier des derniers par une police et une justice devenues folles.
    Puis, au bout de cette longue nuit, après vingt-trois mois d’incarcération, quatre-vingt-dix-huit jours sans m’alimenter et trois tentatives de suicide, est arrivé l’acquittement ; enfin. Le 1 er   décembre 2005. Je suis donc un homme libre, un homme réhabilité. Je suis libre, mais je m’effondre. Je pleure ma mère morte de chagrin, mes bonheurs perdus à jamais. Ma femme d’alors m’a quitté pour refaire sa vie, je suis séparé de mes enfants, j’ai vendu mon Étude et ma maison. Je n’ai plus rien. Le vide.
    *
    Outreau m’a plongé dans les affres d’un précipice immonde, un précipice dont je suis aujourd’hui parvenu à m’extraire, mais sans pouvoir prétendre en guérir. Souvent, dans la rue, des gens viennent spontanément me tendre une main amicale et s’enquièrent avec chaleur de ma nouvelle vie. « Maintenant, monsieur Marécaux, ça va ? » Ma réponse est toujours la même : « Je vais mieux. » Au fil des ans, la plaie béante s’est progressivement muée en fracture douloureuse, une fracture qui, peut-être, un jour, pourra devenir une simple frontière, sorte de gros trait rouge délimitant deux vies : celle d’avant Outreau et celle d’après. Seule certitude, Outreau fait partie intégrante de mon existence. Mais si j’aspire à vivre heureux malgré ce que je nomme « mes fantômes d’Outreau », ceux-ci s’invitent à toute heure. Ils me hantent et me hanteront toute ma vie.
    Chaque jour, aussi joyeux soit-il, un détail les fait ressurgir. Une odeur, un son, une vulgaire série américaine où des flics en uniforme aboient sur un prévenu soumis à la torture, un enfant qui pleure. Un tribunal. Dans la rue, c’est une fourgonnette à gyrophare hurlante qui vient soudain me glacer le sang, moi, l’ex-menotté honteux qu’on embarquait comme un veau à l’abattoir pour un énième transfert vers une destination inconnue.
    Parfois, c’est un simple bruit qui me prend aux tripes, au moment où je m’y attends le moins. Par exemple, je dépose ma voiture au garage pour une révision, et à mon retour, le mécanicien fait tourner son trousseau de clefs dans la serrure d’une porte métallique. Là, d’un coup, je flanche. Je sens mon ventre se rétrécir, j’ai la chair de poule. Je meurs… J’y suis à nouveau, à Amiens, à Beauvais, à Fresnes. Rituel immuable : trois bruits secs, d’abord, en haut de la porte clac, clac, clac, deux fois, suivis de deux roulements de verrou, en bas, clap significatif d’une mise à l’isolement jusqu’au petit matin. Adieu le garagiste, retour à ma geôle glaciale et enfumée : le gardien vient de faire sa dernière tournée, je crève en silence. Le malaise ne dure que quelques secondes, le temps de me souffler à moi-même : « Allez, c’est fini tout ça, c’est du passé…»
    Les repas de famille, pourtant si chaleureux, si festifs, ne se font jamais, aujourd’hui encore, sans passer par la case prison. Mon père, surtout, ne peut s’empêcher d’évoquer « Burgaud ». Le juge Fabrice Burgaud s’invite alors à notre table, malgré nous, la famille Marécaux, qu’il a humiliée, meurtrie. Et ce en dépit du désir farouche que nous avons tous de le rayer de nos pensées.
    *
    Les nouvelles pages de cette réédition m’entraînent sur les chemins de ma propre reconstruction. Heureusement, j’ai conservé les précieux cahiers d’écolier sur lesquels je consignais chaque soir le contenu de chaque journée.
    Que suis-je devenu, depuis ce procès de Saint-Omer qui, le 2 juillet 2004, m’a condamné à dix-huit mois de prison avec sursis pour les faits les plus odieux, les plus répugnants, les plus honteux, pour ce qu’il y avait de plus monstrueux à mes yeux : le pire des outrages qu’un père puisse faire subir à son fils ?
    Un homme innocenté au grand jour, un an plus tard, dans ce théâtre de la cour d’assises de Paris, où les accusateurs, enfin,
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