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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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péripéties de ce voyage me
donneront des cauchemars jusqu’à la tombe, sans parler de cette horrible guerre
qui a consumé implacablement ma terre, mon foyer, ma famille, mon fils… »
Et elle éclata en sanglots poliment étouffés.
    « Phoebe, je vous en prie, reprenez-vous, l’implora
M. Fripp. Pensez à votre état. » Il lui tendit le seau.
    « Je suis une femme sans patrie, gémit-elle.
    — Mais pas sans mari, se hâta de la rassurer ce
dernier, en appliquant sur son dos tremblant une série de caresses maladroites,
sans résultat apparent.
    — “Solitude et tristesse, En vain, crainte et espoir”,
récita le capitaine Wallace d’une voix douce et chantonnante, “Si un jour la
guerre cesse, Je prie pour te revoir.” De toutes les chansons, entraînantes ou
mélancoliques, que votre peuple ingénieux a su tirer des décombres de ce
conflit, en voilà une qui me demande quelques bonnes rasades de brut si je veux
en atténuer l’effet.
    — Mais vous, un homme du monde sophistiqué, glissa
Liberty, vous devez bien comprendre que, même si les canons se sont tus, le
combat continue.
    — Tiens donc ! s’exclama M. Fripp, se
détournant un instant de sa femme, dont la crise s’apaisait. Et de quel combat
s’agit-il ?
    — De l’œuvre à laquelle se consacre ma famille depuis
bien avant ma naissance.
    — La folie et la piraterie ?
    — Non, monsieur. La liberté et l’égalité.
    — Quoi ? Entre les races ? Quelle
absurdité !
    — Il fait partie de ces exaltés un peu fêlés, expliqua
aimablement le capitaine Wallace.
    — Eh bien, je ne partage pas son exaltation.
    — C’est pour cela que nous nous exilons, confirma M me  Fripp
en se tamponnant les joues avec une serviette de table.
    — Et on a bien fait de partir, si l’avenir ressemble un
tant soit peu à la vision de M. Fish. Imaginez-vous obligé de dîner à côté
d’un sauvage comme Monday, en train de laper sa soupe. Vous avez envie de
passer la soirée à regarder l’Oncle Tom ronger un os, et de subir ses opinions
d’Éthiopien sur les affaires du jour ? On frémit rien que d’y penser.
    — Êtes-vous bien sûr que cela ne vous est pas déjà
arrivé ? demanda Liberty d’un ton accusateur.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Que vous n’avez pas déjà dîné avec un membre de cette
race, enduré ses mauvaises manières, sa langue exotique ?
    — Vous ne suggérez pas…
    — Mais si ! Et avant moi, combien d’autres, dont
vous avez peut-être apprécié la compagnie impure, sans vous en rendre
compte ?
    — Monsieur Fish, j’ignore si vous vous payez ma tête ou
non, mais voilà précisément le genre de propos inconvenants qui de mon temps
vous garantissait un pistolet, une balle et une distance de vingt pas. Je ne
tolérerai pas plus longtemps vos chicaneries. Nous sommes des gens hautement
respectables. Venez, Phoebe, ajouta-t-il en offrant à sa femme la protection de
son bras. Je crois que nous serons plus à l’aise si nous attendons le
débarquement dans l’intimité de notre cabine. Messieurs, je vous souhaite le
bonjour. » Et le couple se retira sans un regard, M. Fripp, tout
raide, escortant son épouse pour la mettre à l’abri de toute contamination.
    « Est-ce que c’est vrai ? demanda Wallace,
hautement amusé par cette vigoureuse polémique.
    — Quoi donc ?
    — Vous avez paru insinuer que vous étiez plus ou moins
métis. »
    Liberty haussa les épaules. « Je n’en sais rien. »
    Le capitaine considéra très longuement son jeune passager
insondable, puis éclata de son rire caquetant, reconnaissable entre mille.
    « Comment savoir ? insista Liberty. Le sang coule
à travers le temps comme l’eau des fleuves, il va où il veut, quand il veut,
sans se soucier des frontières, qu’elles soient géographiques, physiques ou
sociales. Les affluents convergent, divergent, convergent encore, en un réseau
peut-être moins aléatoire qu’il n’y paraît. C’est la vie, j’imagine. Et au bout
du compte, la vie fait de nous tous des bâtards.
    — Ah, les bâtards… dit le capitaine d’un air songeur
avant de s’illuminer brusquement. C’est la meilleure race qui soit.
    — Oui, approuva Liberty avec le sourire rusé et
elliptique de son grand-père. C’est la meilleure race. »

 
22
    La neige tombait à gros flocons dodus, douce comme une pluie
de duvet, quand le Léopard, quelque peu éclopé, et propulsé
laborieusement par une seule
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