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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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rassuré.

    Pierre
S., mon éditeur me confirme que je peux poursuivre. Il me
suggère seulement de sabrer dans les séances chez Freud
ainsi que dans l’initiation sexuelle avec Stella, ce à
quoi j’obéirai. Je préfère trop écrire
puis couper. En rédigeant, j’avais conscience d’être
abondant mais je ne voulais me retenir : qui sait si la bonne
idée n’est pas au bout du mauvais paragraphe ? Pour
tailler, il faut que cela pousse.

    Etrange :
je décris la trêve de Noël dans les tranchées
en 1914 et, en même temps, nous fêtons Noël, ici, en
Irlande.
    Sur
les haut-parleurs de la maison, je passe en boucle Douce nuit puis
j’entraîne tout le monde au piano pour chanter. Chacun
l’entonne dans sa langue, qui le français, qui
l’anglais, qui l’espagnol …. Même scène
qu’en 1914.
    Je
me sens plein de tendresse, d’une tendresse diffuse, une
tendresse ivre. J'embrasse les vivants et une partie de mes baisers
va aux morts. J'embrasse l'humanité.

    La
guerre. Moi
qui n'aime ni les films ni les récits de guerre, moi qui ai
accompli mon service utilitaire d'une façon distraite, je me
surprends à me passionner pour la vie au front, dans les
tranchées et dans la peur. Jamais je n'aurais imaginé
avoir tant de plaisir à écrire ce double récit.
J'aime ça ! Etant surtout auditif, je raconte les combats par
les bruits. Etant émotif et physique, je tente de trouver une
prose rythmée, syncopée, en sympathie avec l'action.
    Le
bonheur que me procurent ces pages est exceptionnel. Aurais-je manqué
de cette expérience sans m'en douter ?

    L'écriture
vire à l'hallucination.
    Hier,
en marchant sur les trottoirs avec mes neveux, j'ai entendu un
sifflement et j'ai crié :
     Couchez-vous
!
    Ils
m'ont regardé, interloqués. Un vélo passait.
    J'avais
cru reconnaître un shrapnell.

    Une
guerre ? Deux guerres. Deux façons d'y entrer et d'en sortir.
    Adolf
H. vit la guerre comme un empêchement : elle interrompt sa
carrière d'artiste, elle le désindividualise en le
transformant en simple chair à canon. Il en reviendra dégoûté,
pacifiste, dépolitisé, épris de modernité
et de nouveauté pour tenter d'oublier. Un homme typique des
années 1920.
    Hitler
vit la guerre comme un accomplissement : elle le socialise en lui
attribuant un rôle, elle le rend allemand, elle lui offre le
modèle d'une organisation parfaite
de la vie collective car totalitaire. Il en émergera
nostalgique, belliqueux, politisé, épris de revanche
pour effacer la défaite. Aussi un homme typique des années
1920.

    Sœur
Lucie est un cadeau que j'ai offert à Adolf H. mais que je me
suis offert aussi. Un sourire. Une lumière. Une foi.

    Pleuré
toute la journée en écrivant la lettre d'Adolf H. à
ses amis lorsqu'il croit sa fin venue à l'hôpital.
    Il
s'humanise.
    Je
commence à me sentir mieux.
    Mais
surtout je suis soulagé d'avoir pu enfin parler de l'amitié
dans un livre... Oui, moi aussi. Comme Adolf H. dire cela avant de
mourir.
    Je
pourrai donc mourir moi aussi, cette nuit...

    Je
suis assez content d'utiliser la figure historique du docteur
Forster, ce médecin qui pratiquait l'hypnose auprès des
blessés de guerre et qu'on retrouve « suicidé »,
en Suisse, après qu'il eut menacé de sortir le dossier
d'un Hitler nouvellement nommé chancelier.
    Si
je ne crois pas que cette hypnose ait vraiment changé Hitler,
elle m'intéresse cependant car elle me permet de montrer deux
images du soin psychologique. Freud contre Forster. Psychanalyse
neutre contre thérapie interventionniste. Magie blanche contre
magie noire. L'oreille qui écoute contre la bouche qui
ordonne.
    Cela
dit, j'espère vivre assez longtemps pour lire, un jour,
sortant d'un coffre suisse, ce fameux dossier psychiatrique
concernant le jeune Hitler...

    Aujourd'hui,
l'exercice fut périlleux : j'ai dû raconter la naissance
de l'antisémitisme d'Hitler. Certes, c'était lui qui
pensait mais c'était moi qui écrivais. Je m'infligeais
une vraie violence. Donner ma voix à cette haine... Prêter
mes mots à cette sottise... Ourler les phrases d'une intention
criminelle... J'ai donc décidé de répondre à
deux impératifs : il fallait que ce soit dit mais que ce
ne soit pas brillant. Hitler serait convaincu mais pas convaincant !
Pas question de se retrouver dans une encyclopédie de
l'antisémitisme, même encadré de guillemets...
J'ai donc construit le texte comme un délire subjectif,
heurté, continu et conclu la scène
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