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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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banal. Banal comme le mal.
Banal comme toi et moi. Ce pourrait être toi, ce pourrait être
moi. Qui sait d'ailleurs si, demain, ce ne sera pas toi ou moi ? Qui
peut se croire définitivement à l'abri ? A l'abri d'un
raisonnement faux, du simplisme, de l'entêtement ou du mal
infligé au nom de ce qu'on croit le bien ?
    Aujourd'hui,
les hommes caricaturent Hitler pour se disculper eux-mêmes. La
charge est inversement proportionnelle à la décharge.
Plus il est différent, moins il leur ressemble. Tous leurs
discours reviennent à crier « ce n’est pas
moi, il est fou, il a le génie du mal, il est pervers, bref il
n’a aucun rapport avec moi ». Dangereuse naïveté.
Angélisme suspect.
    Tel
est le piège définitif des bonnes intentions. Bien sûr,
Hitler s'est conduit comme un salaud et a autorisé des
millions de gens à se comporter en salauds, bien sûr, il
demeure un criminel impardonnable, bien sûr, je le hais, je le
vomis, je l'exècre, mais je ne peux pas l'expulser de
l'humanité. Si c'est un homme, c'est mon prochain, pas mon
lointain.

    Grande
résistance de mon entourage à mon projet. Seul Bruno M.
comprend et m'encourage. Les autres, Nathalie B. en tête,
m'incitent à renoncer.
     Tu
ne peux pas associer ton nom à Hitler !
     Mais
parler d'Hitler ne consiste pas à devenir hitlérien.
     Moi
je sais que tu n'es pas nazi, mais les autres, les lecteurs pressés,
les journalistes...
     Tes
craintes sont aberrantes ! Il ne faut pas être noir pour lutter
contre le racisme ou femme pour tenir des propos féministes.
C'est à se flinguer, ce que tu dis !
     Peu
importe. Tu ne dois pas y toucher, tu vas bousiller ta carrière
et notre amitié.
     Ton
attitude me confirme que j'ai raison : Hitler reste un sujet tabou.
C'est donc à ce tabou que je vais m'attaquer. Je veux
comprendre.
     Comprendre
Hitler, te rends-tu compte de ce que tu dis ?
     Comprendre
n'est pas justifier, Nathalie. Comprendre n'est pas pardonner. Il n'y
a même que par la compréhension intime, profonde, de
l'ennemi que tu peux te battre avec lui.
     Mais,
mon pauvre Eric, tu n'arriveras jamais, toi, à comprendre
Hitler.
     Pourquoi
?
     Parce
que tu n'es pas comme lui.
     Une
seule chose me trouble dans ce dialogue de sourds : arriverai-je à
comprendre cet être que je déteste ? Je l'espère.
J'ai rendez-vous avec cela.
    Hitler
est à la fois à l'extérieur et à
l'intérieur de moi. A l'extérieur, dans un passé
accompli, dont il ne reste que des cendres et des témoignages.
A l'intérieur, car c'est un homme, un de mes possibles, et je
dois pouvoir l'appréhender.

    Dernières
lectures en ce moment. Depuis des années, je me préparais
avec les livres mais je fournis mon ultime effort. Evidemment, les
meilleurs travaux sont anglais. La Grande-Bretagne a développé
l'hitlérologie comme aucun autre pays au monde. Forcément,
les Anglais lui ont résisté puis l'ont battu ! Le sujet
les gêne moins que nous, les Français. Mieux, même,
il les honore.
    Quand
je fais mes courses historiques dans les librairies de Londres ou de
Dublin, je me sens beaucoup moins embarrassé qu'à Paris
où l'on me jette des regards suspects dès qu'on
aperçoit la moustache d'Adolf sur la couverture.
    D'ailleurs,
j'ai été lâche ; j'ai envoyé un ami
étudiant m'acheter, au milieu de plusieurs livres sur le
Troisième Reich, le fameux Mein
Kampf. Ouf,
on lui a vendu.

    Je
lis Mein
Kampf et
j'écoute les discours. Les ficelles sont grossières,
efficaces. Joue-t-il la comédie ? Est-il sincère ?
    J'en
viens à penser qu'il joue sincèrement Comme tout
acteur, comme tout auteur, il ne ment pas : il fabrique de la
réalité.

    Chaque
soir, je me livre au même rituel. Après avoir travaillé
sur mes documents pendant des heures, je finis toujours la séance
en prenant une biographie, n'importe laquelle, chaque fois une
différente, et je lis les dernières heures d'Hitler
dans son blockhaus jusqu'au suicide et à la crémation.
    J'ai
besoin de m'assurer qu'il est mort. Bien mort.
    J'ai
besoin de me rassurer après ces heures passées sur le
crime et l'horreur.
    J'ai
besoin de croire que c'est achevé, que ça ne se
produira plus jamais.
    Petit
rituel touchant et ridicule. Petite superstition à usage
intime. Je m'en moque moi-même quoique j'y cède. Je sais
bien que mon exorcisme ne change rien au monde ni à l'avenir.
Le mal est tenace. Perpétuel. Radical. Ça se reproduit
aujourd'hui. Ça se reproduira
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