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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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!
     Oh,
je t'en prie. N'essaie tout de même pas de me faire croire que
tu es ordinaire, Adolf H., s'indigna Neumann.
     Non.
Mais j'ai fait le choix de l'ordinaire.
    Neumann
haussa les épaules. Dans sa convalescence idéologique,
il ne trouvait même plus de plaisir à discuter.
     De
quoi vas-tu vivre, maintenant ? demanda Adolf.
     Mais
j'aurai ma retraite de membre du Parti. Le parti communiste allemand
continue à exister ; il sera très utile dans cette
Allemagne continuellement à droite.
     Oh,
tu exagères. Nous sommes maintenant dans une vraie démocratie.
     Oui,
mais une démocratie gouvernée par la droite avec des
tentations de droite. Ce ne sera jamais autre chose, l'Allemagne, mon
pauvre Adolf.
     Ne
jamais dire jamais, se contenta de répondre Adolf.
    Rembrandt
et son épouse vinrent trinquer avec eux. Lorsqu'ils
s'éloignèrent, le regard de Neumann s'attarda sur la
croupe rebondie de la mariée
     Elle
n'est pas mal, la physicienne, murmura-t-il. Tu ne trouves pas
excitant, toi, l'idée de faire l'amour avec une femme qui
aurait le même niveau intellectuel que toi ?
     A
mon avis, c'est arrivé à des tas d'hommes sans même
qu'ils le soupçonnent.
     Au
fait, sais-tu ce qu'ils me disaient, ton Rembrandt et sa jument
matheuse ? Que les recherches qu'ils effectuent avec Bohr et
Heisenberg avancent et qu'une bombe atomique capable de détruire
la vie sur des dizaines de kilomètres sera bientôt
possible. Ils l'auraient déjà achevée s'ils
bénéficiaient de plus de crédits de l'Etat.
     Je
vois ! Il leur faudrait une bonne guerre pour donner l'impulsion ?
     C'est
ça. La paix dans laquelle nous vivons depuis la courte guerre
contre la Pologne n'est pas bonne pour la recherche de nouvelles
armes. Tous les savants espèrent un conflit...
     J'espère
que je serai mort avant que cela n'arrive, soupira Adolf.

    Guerre
froide. Malgré ses pertes civiles et militaires pendant la
guerre, l'URSS prend rang de puissance mondiale et revendique, face
aux Etats-Unis, la gestion totale du bloc de l'Est. La Chine devient
communiste et beaucoup de pays d'Europe centrale se transforment en
satellites bolcheviques.
    Dès
lors, les Etats-Unis luttent contre le communisme dans le monde
entier et favorisent les régimes autoritaires.
    L'Allemagne
est partagée en deux, l'Ouest sur le modèle des
démocraties capitalistes, l'Est sur le modèle des
démocraties communistes. L'ancienne capitale, Berlin, est
divisée, barbelée et militarisée. Depuis
l'époque hitlérienne, la conscience allemande n'est
plus qu'une plaie que se partagent la honte et l'effarement.

    Maintenant,
la vie allait trop vite pour lui.
    Berlin
craquait sous huit millions d'habitants, bourdonnait de voitures, de
sirènes et offrait ses enseignes lumineuses toute la nuit aux
touristes ébahis qui accouraient du monde entier pour visiter
la capitale de l'Europe. Berlin brillait plus que Paris ou que
Londres. Une révolution artistique par mois. Une mode par
semaine. Les caves débordaient de spectateurs curieux
d'avant-garde tandis que les grands théâtres faisaient
salle comble avec le répertoire traditionnel. Le cinéma
allemand concurrençait le cinéma américain,
affichant les idoles géantes des deux stars concurrentes, la
brune Zarah Leander contre la blonde Marlene Dietrich. Le quartier
chaud offrait des femmes de toutes les couleurs dans ses vitrines.
Les taxis de la ville parlaient russe ou finnois. On pouvait manger
chinois, japonais, italien, français, grec, turc. On pouvait
même ne pas manger du tout, comme les nombreux clochards sans
abris qui ne profitaient pas de la richesse allemande mais venaient
réchauffer leur misère sous les néons berlinois.
    Adolf
H. ne trouvait plus sa place.
    Sarah
l'avait quitté. Un cancer foudroyant, sans doute provoqué
par les émanations chimiques qu'elle avait humées,
toute son existence, dans son laboratoire à parfums.
    Adolf
H. était pour la seconde fois veuf d'une femme plus jeune que
lui.
    Il
n'aimerait plus. Cela faisait trop mal. Il acceptait de vieillir.
    Dans
cet univers acrylique et grésillant, il réalisait qu'il
était né au siècle précédent. Sa
peinture n'intéressait plus personne. L'art figuratif était
mort. Différentes sortes d'abstractions se partageaient le
marché, le mouvement le plus en vogue étant «
l'abstractionnisme matérialiste » dont Heinrich était
le chef de file. Il se répandait dans la presse mondiale en
multipliant les
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