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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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formules définitives, comminatoires, toutes
plus sottes et plus excessives les unes que les autres, à
l'arrivée contradictoires, mais cela, plus personne ne
semblait s'en rendre compte. Bien sûr, Heinrich avait envoyé
au cimetière toute la peinture représentative, dont le
mouvement surréaliste lui semblait l'agonie, et il avait
trouvé le moyen de cracher sur son ancien professeur et ami en
popularisant la formule : « Adolf H., le premier des
surréalistes et le dernier des peintres ». Autant dire
que les toiles d'Adolf H. ne valaient plus grand-chose, sinon des
insultes aux quelques rares amateurs qui persistaient à les
exposer et se faisaient traiter de ringards.
    Adolf
s'en moquait. Sa vie avait été assez longue pour qu'il
entende plusieurs fois tout et son contraire. Il n'avait jamais
estimé avoir produit des chefs-d'œuvre et, de toute
façon, à la mort de Sarah, il avait définitivement
posé ses pinceaux.
    Ce
jour-là, il envoya un télégramme à Sophie
pour lui dire qu'il acceptait son invitation à se rendre aux
Etats-Unis.
    Ce
jour-là aussi, les Allemands envoyaient le premier satellite
en orbite autour de la Terre et Adolf n'arriva pas même à
joindre au téléphone Rembrandt qui avait participé
au projet.

    Dans
la seconde moitié du vingtième siècle, cinquante
pour cent des prix Nobel de sciences reviennent aux Etats-Unis, les
universités américaines ayant servi de refuge aux
savants, chercheurs et professeurs qui parvinrent à échapper
aux persécutions hitlériennes.
    Vivre
en Amérique, c'est comme vivre en province. Et la vieillesse
est provinciale. Donc, je me sens bien ici.
    Adolf
H. essayait d'agacer ses petits-enfants en disant cela, mais la pique
ne les touchait pas car ces jeunes Californiens n'avaient jamais
quitté Los Angeles.
    L'haleine
salée de la mer lui chauffait le visage. Il s'enfonça
voluptueusement dans sa chaise longue en imaginant qu'il était
un lézard. Il aimait la simplicité rustique de la
nature et des gens ici : la mer bleue comme dans le tube, le sable
beige comme du sable, l'horizon horizontal, le laitier joyeux comme
un laitier, le jardinier beau comme un jardinier, la femme de ménage
mexicaine et duvetée comme une Maria, il se reposait dans cet
univers de clichés. Même ses petits-enfants, les trois
fils de John et Sophie, lui donnaient l'impression d'être des
petits-enfants d'album, sains, vifs, bien élevés.
Ceux-ci éprouvaient de l'admiration pour leur grand-père
car, à Santa Monica, on vendait sur les trottoirs des
lithographies effectuées d'après ses anciens tableaux.
Il soupçonnait son gendre d'avoir investi de l'argent dans
cette opération et ne réagit que de façon
sarcastique lorsqu'on le lui annonça.
     Mais
non, papa, lui avait juré Sophie. Il s'agit d'un éditeur
de New York. Et cela a beaucoup de succès.
     Oui,
oui, laisse-moi rire. Et toutes les dames juives de New York et de
Los Angeles veulent avoir un Adolf H. au-dessus du canapé du
salon ?
     Exactement.
Et cela va faire levier. Je suis certaine que cela fera monter la
cote des tableaux originaux.
     De
toute façon, je m'en fous.
    En
revanche, lorsque son plus jeune petit-fils, Bob, lui apporta une
lithographie d'Onze-heures-trente, son Portrait
en géante, les
sanglots secouèrent la vieille carcasse d'Adolf.
     ²Qu'est-ce
que je fais là ? dit-il à Sophie qui tentait de le
consoler. Pourquoi est-ce que je traîne comme ça ? Si ça
pouvait être vrai qu'on se retrouve après la mort...
     Peut-être,
papa, peut-être.
    Il
sourit en se mouchant. Les mouettes, au loin, lui semblaient des
taches blanches qu'il venait d'ajouter à la toile. Lucie aussi
était loin, en Afrique. Il aimait surtout des fantômes.
     Mais
de toute façon, j'arrive trop tard. Là-haut, ni ta mère
ni Onze n'auront même un regard pour une vieille carne comme
moi.

    Vente
aux enchères secrète à Nuremberg. Une aquarelle
signée « Adolf Hitler 1913 »
représentant un paysage bavarois atteint le prix record de
huit cent mille marks. L’œuvre est une croûte et le
collectionneur garde l’anonymat.

    Le
21 juin 1970 à quinze heures vingt-neuf, le premier homme qui
marcha sur la lune était allemand. L’astronaute Kurt
Makart avait sauté de la fusée Siegfried et gambadait entre les cratères. Toutes les télévisions
du monde retransmettaient ces images historiques. Elles témoignaient
des progrès technologiques qu’aient faits l’humanité
au vingtième
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