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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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dirige plus ; je passe au service d'un monstre qui me dicte ses
exigences, je suis scribe.

    J'espère
qu'on ne se méprendra pas sur mon livre. En suivant deux vies,
celle d'Hitler recalé, celle d'Adolphe H. accepté aux
Beaux-Arts, je ne fais pas seulement jouer une circonstance, mais
aussi la libre interprétation d'une circonstance. Hitler n'est
pas seulement victime de son échec, mais aussi de l'analyse de
son échec. Lorsqu'il échoue à l'examen d'entrée,
il n'opère pas un juste décryptage de son faux pas. Au
lieu de reconnaître qu'il n'a pas assez travaillé,
il conclut qu'il est génie ignoré. Premier délire.
Premier isolement. Première bouffée paranoïaque.
    Ce
n'est pas seulement l'échec aux Beaux-Arts qui va le marquer,
c'est tout autant son interprétation (sa négation) de
l'échec.

    Il
en est de même pour la sexualité. Au départ, les
deux personnages, Hitler et Adolf H., ont la même sexualité
puisqu'ils sortent de la même enfance. Cependant, Adolf H. va
reconnaître qu'il a un problème avec les filles tandis
qu'Hitler va superbement l'ignorer.
    Notre
sexualité n'est pas ce que nous subissons mais ce que nous
faisons. Ce que nous en faisons.

    Je
prends un risque dans ces cent premières pages, celui de
rendre le vrai Hitler plus sympathique que le virtuel.
    Pourquoi
pas, en effet ? Ce jeune homme pitoyable n'agit pas, pour l'heure, en
monstre condamnable. Nous le jugerons quand il aura péché,
pas avant.

    Je
n'ai pas pu résister : Hitler rencontre Freud. Outre qu'elle
m'amuse, cette scène me permet de raconter l'enfance d'Hitler
sur le divan et de montrer qu'on peut guérir de son enfance,
quelle qu'elle soit. Adolf H. s'en sortira, Hitler pas. Notre passé
n'a que le poids que nous lui laissons ; la réflexion, le
travail nous permettent de l'alléger.

     Comment
parviens-tu à raconter l'existence d'un raté, toi qui
as toujours tout réussi ? me demande Bruno M.
    J'en
demeure bouche bée. Le compliment a paralysé mes
fonctions motrices et cérébrales. Je rougis, je
bafouille et je m'en tire lamentablement par un :
     J'essaie.
    Il
hoche la tête avec un sourire gentil et change de sujet.
    S'il
savait, Bruno, combien il m'est aisé de décrire un raté
! S'il savait, Bruno, qu'il ne m'est jamais venu à l'idée
que j'avais réussi quoi que ce soit. Certes, j'ai achevé
mes études, remporté des concours prétendus
difficiles, je suis parvenu à être joué, publié,
à avoir du succès, mais je demeure tendu, insatisfait,
plus soucieux de ce que j'entreprends aujourd'hui que de ce que j'ai
pu achever hier.
    On
commence toujours par être un raté. A part Rimbaud.
Parce que l'adolescent rêve, parce qu'il ne fait pas ce qu'il
faut, parce qu'il pose la barre trop haut... Comme mon héros,
j'ai passé mes dix-huit ans à imaginer que j'écrivais
le livre définitif ou la symphonie ultime qui me vaudrait
l'acclamation de mes contemporains et l'aval de la postérité.
On débute tous avec ce genre de sottises, des désirs
sans actes, des rêveries sans travail, des projections
fantasmées dans un avenir riant. On passe plus de temps à
se dire qu'on va faire qu'à faire. Ma volonté s'est
d'abord éveillée comme une velléité.
    Adulte,
une fois que l'on est arrivé à terminer quelques œuvres
et à obtenir une reconnaissance, le malaise continue : ce
succès n'est-il pas un leurre ? Ne se trompent-ils pas tous,
ceux qui m'admirent ? N'est-ce pas celui-là, là-bas, ce
pou terne et moche qui ne m'aime pas, le seul qui a raison ?
    Toute
ma vie je me demanderai si je suis bien à la hauteur de mon
ambition. Toute ma vie je me sentirai plus raté que réussi.
Le ratage est le souci constant, intime, continu d'une vie d'artiste.
    J'arrive
à la fin de la première partie. Mes deux héros
sont déjà fort loin l'un de l'autre. Adolf H. travaille
sa peinture, a vaincu son inhibition pour les femmes et s'est initié
à la sexualité, une sexualité altruiste, celle
où entre la part de l'autre. Hitler, lui, demeure puceau, se
cache qu'il est un peintre médiocre et s'installe en
petit-bourgeois dans la galère. Adolf H., avec difficulté,
s'est épanoui. Hitler, sans difficulté, s'est renfermé
sur lui-même, sur ses mensonges et sur ses frustrations. Deux
hommes différents déjà.

    Bruno
M. a lu cette première partie. Enthousiaste, il se déclare
passionné, me pousse à continuer mais m'avoue qu'il a
été gêné de s'identifier parfois à
Hitler.
    Je
suis
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