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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix
Autoren: Gilbert Prouteau
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part de l’imagination dans ce livre est plus vive que la mémoire des modèles. Si vous le permettez, je commence la lecture...
    —  Nous vous écoutons, dit la reine.
    « Je parcourais l’Italie, il y a bien des années. Je fus arrêté dans une auberge de Cerenza, petit village de la Calabre, par un débordement du Neto   ; il y avait, dans la même auberge, un étranger qui se trouvait forcé d’y séjourner pour la même cause. Il était fort silencieux et paraissait triste   ; il ne témoignait aucune impatience. Je me plaignais quelquefois à lui, comme au seul homme à qui je pusse parler dans ce lieu, du retard que notre marche éprouvait. Il m’est égal, me répondait-il, d’être ici ou ailleurs.
    Notre hôte, qui avait causé avec un domestique napolitain qui servait cet étranger sans savoir son nom, me dit qu’il ne voyageait point par curiosité, car il ne visitait ni les ruines, ni les sites, ni les monuments, ni les hommes. Il lisait beaucoup, mais jamais d’une manière suivie ; il se promenait le soir, toujours seul, et souvent, il passait des journées entières assis, immobile, la tête appuyée sur les deux mains. »
    Caroline, la femme de chambre d’Hortense, entrait avec un plateau de café. Benjamin Constant repoussa l’offre d’un bras majestueux et poursuivit sa lecture. Les dames s’étaient composé des visages de dévotes à l’écoute d’un prêche. Au fur et à mesure que l’orateur les entraînait dans l’intrigue amoureuse, les beaux visages appuyés aux longues mains blanches reflétaient tour à tour la curiosité, l’émotion, l’impatience...
    « C’est un affreux malheur de n’être pas aimé quand on aime... Mais c’en est un bien plus grand que d’être aimé avec passion quand on n’aime plus... Cette vie que je venais d’exposer pour Ellénore, je l’aurais mille fois donnée pour qu’elle fût heureuse sans moi... »
    Quand les amants commencèrent à se déchirer, Hortense, Julie et Mlle Cocherel {9} échangèrent des regards d’initiées.
    «... Dès qu’il existe un secret entre deux cœurs qui s’aiment et que l’un d’eux a pu se résoudre à cacher à l’autre une seule pensée, le charme est rompu, le bonheur est détruit... »
    La ville s’éveillait. Des bruits de voitures, des appels, des sonneries de clairon, des cris de vitrier parvenaient étouffés, assourdis à travers les hautes fenêtres et les courtines à glands dorés. Mais leurs vagues lointaines venaient mourir sur les rives enchantées du roman et n’altéraient ni les couleurs de la passion ni la fascination des auditeurs.
    « L’amour est un point lumineux, et néanmoins, il semble s’emparer du temps. Il y a peu de jours il n’existait pas, bientôt il n’existera plus, mais tant qu’il existe, il répand sa clarté sur l’époque qui l’a précédé, comme sur celle qui va le suivre. »
    L’auteur s’interrompit et jeta un bref coup d’œil sur l’auditoire. Ses yeux rencontraient le regard d’Hortense et y quêtaient un assentiment   :
    —  Que c’est beau, dit-elle.
    Et Mme d’Arjuzon jeta à l’étourdie   :
    —  Ce que vous dites de l’amour, on pourrait le dire de l’Empereur...
    —  Mais Dieu merci, madame, répondit Benjamin Constant, l’Empereur est toujours parmi nous.
    La dame se mordit les lèvres.
    L’orateur posa une main distraite sur le clavecin de la reine et deux notes prirent leur vol, graves, pures, solitaires, comme si l’auteur avait voulu annoncer par ce bref prélude le changement d’octave de la tragédie. On touchait au dénouement, la voix de l’illustre lecteur se mouilla   : « Je m’approchai d’elle. Elle me regarda sans me reconnaître et quand je lui parlai, elle tressaillit   :
    —  Quel est ce bruit   ? dit-elle. C’est la voix qui m’a fait du mal.
    Le médecin remarqua que ma présence ajoutait à son délire.
    Il me conseilla de m’éloigner. Son agitation devint extrême... Elle posa son front sur une main et une contraction terrible déforma ses traits. Elle céda enfin au pouvoir de la nature ennemie et de la nuit. Ses membres s’affaissèrent, elle sembla reprendre quelque connaissance et me serra la main. »
    Hortense fut distraite de la lecture par le grincement de la poignée. Par la porte entrebâillée, Caroline, la femme de chambre, faisait de grands signes du bras.
    La reine se leva sur la pointe des pieds.
    Benjamin Constant emmuré dans son propre
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