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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix
Autoren: Gilbert Prouteau
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qu’il faut trouver c’est le catalyseur des éléments. Il est aujourd’hui le même pour les Chambres, que pour Billaud et Tallien le 8 thermidor.
    —  Comment l’appelez-vous   ? dit Lacoste.
    —  La peur.
    Le mot tombait comme une pierre dans un puits, avec un bruit sourd et des bulles. Et déjà Fouché enchaînait   :
    —  La majorité des représentants de la Chambre est composée d’acquéreurs de biens nationaux. C’est la peur des nantis qui gouverne le monde. Et si nous savons distiller cette peur à l’Assemblée, avant une semaine je serai le ministre de Louis XVIII. Et vous, messieurs ?
    Fouché regarda Lacoste. Qui regarda Barère. Qui regarda Jay. Seul Manuel restait les yeux baissés. Eh oui, c’était bien le même homme qui venait de déclarer au duc de Rovigo   : « Faites tirer sur les premières cocardes blanches qu’on verra dans la rue. » Le même qui avait dit   : « Carnot et moi nous ne sommes pas suspects à ce peuple sublime parce que nous avons signé nos serments avec le sang. »
    Fouché se levait.
    —  L’argent, les honneurs et la peur, voilà nos trois alliés. Je vais museler cette tourbe de généraux, de maréchaux et de hauts fonctionnaires en leur garantissant pour ainsi dire sur ma tête la sécurité de leur personne et de leur fortune. Après un bref silence il sourit   : et leur sécurité repose sur deux retours.
    —  Lesquels   ? dit Jay.
    —  Les Alliés à Paris, et les Bourbons aux Tuileries.
    Très doucement perle l’aurore sur les provendes fleuries des gagnages, mais dans ces ravins de l’Ardenne la grande forêt prolonge la nuit entre ses falaises d’ombre humide.
    Sous les ramures enténébrées avance un chevalier sans armure au pas de son cheval fourbu. La nuit s’accroche à son épaule. Il ne sait pas encore que la vindicte des siècles et des hommes va s’attacher à son nom, et que ce nom sera jeté en pâture à l’Histoire – et à la légende.
    Emmanuel de Grouchy {6} , maréchal de France, est à la fois heureux et inquiet. Heureux parce que depuis une semaine de campagne le dieu des armées chevauche à ses côtés. Pas une manœuvre qu’il n’ait réussie, pas un affrontement qui n’ait tourné à son avantage. Inquiet parce qu’il attend vainement depuis hier l’annonce de la victoire et l’ordre de prendre la route du Nord pour rejoindre le gros de l’armée.
    À la tombée du jour il a bousculé les Prussiens. À l’aube, il a sabré les dragons de Thielmann. Ses soldats sont sortis victorieux de chaque engagement, et Grouchy a décidé, conformément aux ordres de l’Empereur – qu’il a exécutés à la lettre –, de marcher sur Bruxelles et de rejoindre Napoléon qui a dû investir la capitale belge. Il lance quelques escadrons à la poursuite des Prussiens en déroute. Le reste de son armée – vingt-huit mille hommes – suit en ordre de bataille.
    Elle a quitté les cathédrales d’ombre de la forêt et repris la rase campagne où le soleil émaille les corolles des taillis. Alerte... Quel est ce galop à la lisière de la forêt   ? Un Saxon isolé, un fuyard de Thielmann ? Enfin... ! le courrier de l’Empereur.
    C’est un cavalier exténué qui revient de l’enfer. Hirsute, les mains brûlées, les yeux hagards. Grouchy hésite à reconnaître le général Dumonceau qui s’exprime comme un animal blessé par râles et gémissements, ébauche des gestes fous, tend un bras vers les collines. Entre les sanglots et les imprécations, des mots sans suite ni sens   : « ... Les morts... sauve qui peut... l’Empereur... les morts... la Garde est morte... »
    On va lui chercher une gourde de ratafia. Le rescapé en avale une grande gorgée et cette brûlante libation accélère ses larmes. Enfin il reprend son souffle et retrouve sa voix. Il explique, en quelques phrases confuses, l’apocalypse de Waterloo. Mais est-ce bien Dumonceau, cet hébété, ce balbutiant au visage barbouillé de sueur, de larmes et de sang ?
    Grouchy hésite. L’Empereur vaincu   : impossible. Cet homme est un déserteur délirant. Peut-être un sbire prussien déguisé qui joue à la perfection son rôle d’espion. Et Grouchy se tourne vers son colonel de gendarmerie   :
    —  Gardez-le à vue, ne le laissez pas s’échapper. Nous réglerons son sort à Bruxelles. Et il tourne le dos au fuyard qui s’époumone en vain   :
    —  Mais ce n’est pas possible, Grouchy, écoutez-moi, je suis le
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