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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix
Autoren: Gilbert Prouteau
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tendaient l’oreille, étonnés, se regardaient, debout, la gourde à la main, ou à croupetons autour des braises. Incrédules. La musique arrivait par vagues, comme une corne de brume assourdie par les étoupes vaporeuses du brouillard.
    —  Vous entendez, dit La Bédoyère, qu’est-ce que...
    Flahaut qui marchait à ses côtés expliquait à voix basse   :
    —  À 10 heures du soir l’Empereur a donné au général Petit l’ordre de battre en retraite en direction de Jemmapes. Le dernier carré de la Garde s’est aligné dans la nuit tombante en bon ordre. Musique en tête. Et c’était un spectacle stupéfiant   : l’adieu de la vieille Garde à ses vingt ans de victoires et à ses dix mille morts de la journée se faisait en musique et recouvrait les dernières mitrailles de la bataille et les abois déchirants de ceux qui allaient mourir.
    Napoléon, muré dans sa marche de somnambule, n’avait rien entendu. La musique mystérieuse s’éloignait, et sa liturgie surnaturelle semblait sécrétée par des chœurs de l’au-delà pour une suprême sonnerie   : Aux morts   !
    Un bataillon de vélites courait dans la clairière. Des bandeaux, des bras en écharpe, des yeux hagards. Et une vivandière dressée sur sa carriole. Décoiffée. Deux morts sur un affût. Napoléon s’élança et cria une fois encore   :
    —  Arrêtez, les enfants, c’est moi l’Empereur...
    Et les soldats détournaient la tête et accéléraient leur marche. Et lui, les bras ballants, debout, impuissant, misérable, « il regardait s’écouler en égouts ce qui avait été le grand fleuve de l’Histoire {3}   »
    C’est en vain que Flahaut s’essayait à le tirer en arrière. Il était resté rivé au talus. Comme fasciné. Ces images paniques, ces blessés, ces boiteux dépenaillés, ces grenadiers échevelés, ces colonnes de fuyards, ces batteries de campagne où brinquebalaient des cadavres, ces voitures fantômes, ces étriers vides, ce carnaval de damnés vont s’imprégner dans sa mémoire et poursuivre dans ses rêves leur carrousel tragique. Ils vont, au fil des jours, occulter son esprit et sa volonté.
    En descendant dans la prairie riveraine de la Sambre, Napoléon ne pense qu’à rameuter une armée, regrouper Grouchy, Lefebvre, Exelmans, faire monter Rapp, Reille... En remontant sur le cheval humide et fourbu dans le petit jour où un soleil acide émerge d’un ciel cendreux, il n’a plus qu’un désir   : ne plus jamais voir ça, regagner Paris au plus vite.
    Le drame est en marche.
    Tandis que Napoléon chevauche vers Philippeville, le duc de Wellington écrit à son frère   : « Jamais je n’avais pris autant de peine pour une bataille, jamais je n’ai été aussi près d’être battu. Nos pertes sont considérables. Il faut envoyer des renforts... »
    Il interrompt sa lettre pour serrer dans ses bras son conseiller militaire le général Dumouriez. Le vainqueur légendaire de Valmy est aujourd’hui le vainqueur stratégique de Waterloo.
    Dumouriez répond à l’étreinte de Wellington   :
    —  Mon cher héros, je suis ivre de joie.
    —  Général, le vrai vainqueur de Waterloo c’est vous. Sans vous je n’aurais jamais attendu...
    —  Avec Napoléon il ne faut jamais attendre, il ne faut jamais lui laisser le temps de se refaire, de se reformer une armée. Aujourd’hui, il faut marcher sur Paris. Installer votre artillerie devant Paris.
    Mais Paris n’a pas attendu l’artillerie de Wellington. Les Parisiens tressaillent d’allégresse en écoutant ce matin du 19 juin, tonner les canons du dôme des Invalides {4} . Les cent un coups de canon, c’est l’annonce d’un autre Austerlitz, d’un autre Iéna. Les multitudes déferlent sur le boulevard, les drapeaux pavoisent les fenêtres et M. Benjamin Constant note dans son journal   : « Les cavaliers courent les rues en annonçant une grande victoire. La rue est joyeuse, la peur et la stupeur régnent dans les salons royalistes... »

 
    Journée du 20 JUIN
    « Hier, j’ai vu l’âme du monde à cheval. »
    H EGEL
    Dans le ciel d’ardoise et de plomb, les nuages préludaient à l’orage et engrangeaient les foudres. Les flonflons et les salves de la veille s’étaient éteints. Une torpeur moite pesait sur la ville et commençait à perler au front des statues.
    Les premières rumeurs du malheur circulaient à voix basse chez les grands du régime. M. Fouché a reçu un cavalier haletant porteur d’un
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