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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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souvenir de notre premier succès, Mimosette. Que M. Magnus ait la bonté de nous rejoindre.
    Aux accents d’une trompette, un homme sanglé dans un complet de cheviotte élimé se détacha des convives. Un nez en bec de perroquet, surmonté d’yeux à fleur de peau, tentait de s’arrimer à une bouche quasiment inexistante soulignée d’un menton creusé d’une profonde fossette. L’ensemble était auréolé d’une toison poivre et sel coiffée à la malcontent. Benoît Magnus ajusta un lorgnon en écoutant le doyen chevroter :
    — La direction, le président et les salariés vous disent…
    Le facétieux responsable de l’amen articula un mot de cinq lettres que l’orateur ne perçut pas.
    — Gloire à vous !
    Acclamations nettement plus molles. Benoît Magnus se sentit obligé de vérifier l’exergue qu’on lui désignait, et de remercier l’auditoire d’un bref hochement de tête. On lui mit l’écrin dans la dextre, on lui broya vigoureusement la sénestre.
    — Un discours, un discours ! bêla une grande gigue en robe jaune, avec une grimace de connivence a sa voisine, une courtaude en robe rose.
    Benoît Magnus examina ses collègues où il était certain de ne dénombrer aucun ami, et, d’une voix chuintante, balbutia un : « Je vous… sais infiniment… gré de…» aussitôt enlisé sous les hourras et les bravos. À l’adresse du vieillard, il murmura :
    — Merci, monsieur Clarence.
    Puis l’émotion le terrassa et une larme se perdit le long de son nez.
    L’orchestre, comptant, en sus du trompettiste, un trombone, un joueur d’ophicléide et un frappeur de caisse claire, attaqua la Valse des potirons , dernière soie à la mode. À travers une brume, Benoît Magnus discernait des couples virevoltants, la grande bringue jaune entre les bras d’un gommeux à rouflaquettes, la courtaude rose pâmée dans ceux d’un géant à barbiche assyrienne. Nul ne se préoccupait de lui, sauf un bonhomme voûté très myope qui lui tapota l’épaule en le félicitant. Cette fois, c’était la fin. Au milieu de ce charivari, il éprouvait une solitude telle qu’un sanglot lui étreignit la gorge. Son souffle s’accéléra, il frôla la syncope, bousculé par des pieds indifférents à son destin. Bien qu’il n’eût rien bu, il titubait, et ce fut d’une démarche hésitante qu’il se dirigea vers la cour où stationnaient divers camions dont les canassons embouteillaient une écurie adjacente.
    L’obscurité et le froid étaient trompeurs, il n’était que six heures cinq. Avec de la chance, il attraperait le bateau de la demie. Il se battit les flancs, transi non seulement à cause de l’humidité, mais aussi du lâche abandon qui le poignardait.
    « Mis au rancart au bout de trente ans de servitude ! »
    — Une faute bénigne dans les dosages, avait-il affirmé à ses supérieurs.
    — Étourderie impardonnable, lui avait-on répondu d’un ton doctoral. Vous êtes trop âgé. Jetez l’éponge, mon cher, votre poste ne vous convient plus.
    La colère attisait son allure, de sorte que ses genoux ne tardèrent pas à renâcler et la douleur à les gripper. Heureusement, le pont de Charenton se devinait au-dessus du canal de la Marne. Non loin de là, on accédait au ponton des Bateaux Parisiens. Il n’eut que le temps de sauter à bord de l’embarcation constellée de publicités pour le chocolat Menier et le consommé Maggi. Il gratifia de ses dix centimes le contrôleur qui lui remit un jeton de métal perforé à restituer à la descente.
    Il salua quelques silhouettes familières. Des hommes accoudés au bastingage tétaient leur cigare, des femmes tricotaient sur les banquettes de l’entrepont. Il glissa la main dans la poche de sa redingote et s’assura de la présence de la médaille. Piètre consolation pour des heures d’abnégation à créer des senteurs originales !
    — Regrettable bévue. Tranquillisez-vous, monsieur Magnus, nous allons déguiser cela en retraite légèrement anticipée, d’ailleurs, eu égard à votre carrière, c’est légitime. Rien ne s’ébruitera, votre réputation sera sauve. Pas d’esclandre, vous avez de sérieuses références, libre à vous de chercher une nouvelle situation, lui avait susurré d’une inflexion lénifiante M. Tadorne, l’adjoint du patron.
    « Une nouvelle situation, à quarante-six ans, quand vos certificats précisent que vous avez été embauché par la firme à seize ans en tant
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