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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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l’assaut de la péniche. Une chaîne d’hommes de peine se saisissaient de ces caisses et les empilaient sur des charrettes garées à la queue leu leu.
    De sa cachette, le chien jouissait d’une vue dégagée sur le port. Une émanation subtile effleura sa truffe. Les oreilles basses, l’échine aplatie dans l’espoir de devenir invisible, il se risqua en terrain ennemi. Un marinier le repéra et ébaucha un geste menaçant. Galopade éperdue, dérapage sur une plaque de verglas. Pantelant, le chien se calfeutra derrière une montagne de planches tandis que des rires épais et des « Vise donc c’te sale bête ! » se mêlaient au brouhaha.
    L’animal amorça une seconde sortie vers l’objet de son avidité, sans autre résultat que de recevoir des salves de cailloux. Il s’esquiva et resta immobile, à distance, indécis.
    Dissimulé au-delà d’un amoncellement de sable, le gamin épiait ce manège. Il s’identifiait au gueusard efflanqué parce qu’il partageait à l’année longue cette frénésie de se repaître, cette appréhension de la société, de ses lois iniques, de son indifférence. Aussi élabora-t-il un stratagème destiné à épauler son alter ego à quatre pattes. Il s’empara d’un billot, le souleva d’un rude effort le plus haut possible et, d’une suprême détente, le balança au centre d’une cuve pleine de gravillons. Une pluie cinglante aspergea les pavés, une bordée d’injures retentit parmi les portefaix, incapables de comprendre la cause de cette éruption. Ainsi l’attention fut-elle détournée du chien, enfin libre de se faufiler vers l’alléchant fumet qui s’exhalait d’un amas de sacs extraits de l’ Étoile du matin .
    Les yeux rivés à l’un d’entre eux, l’enfant observa le corniaud déchiqueter avec des grognements la toile de jute et enfouir son museau à l’intérieur de l’ouverture. Lorsque sa gueule réapparut, elle était maculée et mastiquait une purée dont le surplus dégoulinait de ses babines. Surpris, l’enfant se redressa. Le chien regagna en bonds apeurés son refuge. Constatant que le secteur était sûr, le gamin s’aventura près du sac. En élargir le trou à l’aide de ses doigts lui répugnait, toutefois c’était l’unique manière d’en extirper le contenu. À la faveur d’une éclaircie, il découvrit ce qu’il eût préféré ne jamais contempler. Il poussa un couinement et se rua d’une démarche épileptique vers l’escalier menant au parapet. Le chien opéra une retraite en direction opposée.
    Une marchande de « petit noir » glapissait :
    — La goutte ! La goutte ! Qui veut la goutte ?
    À son bras droit était suspendu un panier où s’entrechoquaient des bouteilles de couleurs variées qui corseraient le liquide saumâtre maintenu au chaud dans le cylindre de fer-blanc accroché à son bras gauche. La mixture obtenue, simili-café et alcool frelaté, était susceptible de réconforter les gosiers engourdis des débardeurs, rivagiers professionnels ou carapatas 1 à la recherche de quelques sous. Intriguée, la marchande s’avança à son tour vers le sac, source de la voracité d’un cador pelé et de la terreur d’un jeune mendigot. Elle devait longtemps se reprocher sa curiosité, en raison des cauchemars qui hanteraient ses nuits. À la minute précise où elle l’aperçut, l’abomination s’imprima en elle, de même que le regret de ne pas avoir harponné le gamin. Elle se sentit défaillir, renversa son panier, les bouteilles volèrent en éclats. L’octroi était au diable, elle courut agripper un coltineur contrarié d’être dérangé. Il lui fallut palabrer un moment pour qu’il consentît à la suivre.
    Quand ils se plantèrent à l’endroit où gisaient les tessons, les sacs avaient disparu. Seule demeurait une moitié de crâne humain festonnée de chair sanguinolente.
     

 
CHAPITRE PREMIER
    29 février 1896, début d’après-midi
     
     
    La petite aiguille de la pendule semblait avoir été aimantée par le chiffre trois. Iris serait de retour à cinq heures. Victor ambitionnait de fatiguer suffisamment Daphné afin de s’accorder une pause, mais à peine l’allongeait-il dans son lit à barreaux qu’elle se redressait et tendait les bras pour qu’il la hissât sur ses épaules.
    Sa sœur Iris lui avait téléphoné le matin. Elle devait sortir. Pouvait-il venir rue des Saints-Pères garder Daphné ? Kenji s’occupait de la librairie, grand-mère
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