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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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fourrer dans sa poche.
    Aussitôt Daphné écarquilla les yeux, prête à tout.
    — Toto, his-toi.
    — Soit, Toto va raconter… quoi ? Je n’en sais fichtrement rien.
    C’était étrange de faire le pitre dans son ancien appartement. Là, grâce à un bouquet de marguerites, il avait goûté une semaine de plaisirs clandestins avec Tasha au début de leur idylle.
    Légèrement nostalgique, il fredonna :
    C’est le temps qui vole, vole
    Vole la vie de chacun
    Et c’est ta vie qui s’envole
    Hier, aujourd’hui ou demain… 2
    — Pas chanter, his-toi.
    Il pensa aux marguerites. Il pensa à l’accueil de Tasha debout au seuil de sa mansarde : « Excusez ma tenue, je suis affreuse…» Il se lança.
    — Alors c’est l’histoire d’une fleur qui était moche… Euh… Elle était vraiment moche. Elle avait juste quatre minuscules pétales gris, une tige mince comme un fil de fer et deux feuilles rondes rabougries. Elle était si vilaine que les abeilles qui tournicotaient autour d’elle, elles faisaient : «  Bzzz-bzzzb bzzz … Ah ! Quelle horreur ! » Et elles allaient vite se poser sur une autre fleur. Les papillons, pareil, ils voletaient au-dessus d’elle et se sauvaient dare-dare, floup-floup-floup , en criant : « Au secours ! » Et la pauvre fleur moche était triste parce que jamais un Insecte ne venait la butiner.
    Bien qu’il n’eût aucune expérience pour juger de la compréhension de sa nièce, Victor savait d’instinct qu’il fallait joindre le geste à la parole, il mimait son récit avec la conviction d’un bateleur de la commedia dell’arte. Imperturbable, Daphné l’observait, un pouce vissé dans la bouche, une mèche de cheveux dans l’oreille.
    « Comment fait-elle pour tenir le coup ? » se demanda-t-il en se torturant les méninges afin d’inventer une suite.
    — Veux his-toi, To-to ! martela-t-elle en l’accablant de bisous.
    — Oui, ça vient, minute…
    Un homme de trente-six ans est-il de taille à lutter contre une séductrice de vingt mois ?
    — … Alors un jour qu’elle était très triste et qu’elle se sentait encore plus moche, reprit-il, la fleur moche décida d’aborder sa voisine. Sa voisine, c’était une fleur magnifique, avec des pétales chamarrés, des feuilles d’un vert éclatant et une tige droite. Elle était superbe. « Dis donc, toi, comment fais-tu pour être si radieuse ? questionna la fleur moche. – Moi, c’est simple, répondit la magnifique, je suis amie avec le soleil. – Avec le soleil ? Et comment fait-on pour être amie avec le soleil ? – Il suffit d’aller lui parler.
    — Parfait », dit la fleur moche. Elle se mit à brasser l’air en faisant flip-flip-flip de ses deux feuilles riquiqui et réussit à arracher ses maigres racines de la terre. Elle tourbillonna d’un vol ridicule qui fit beaucoup rire les oiseaux qui passaient par là et elle arriva en vue du soleil. Une fois là-haut… Euh… Ben… On ne sait pas ce qu’il advint, parce que si on regarde le soleil, ça fait tellement mal aux yeux qu’on est obligé de les fermer 3 . Ferme les yeux, Daphné, dodo, dodo…
    Des applaudissements retentirent. Joseph, ruisselant de pluie, se tenait dans l’embrasure de la porte.
    — Bravo, cher beau-frère ! Toto, épatant diminutif !
    — Chut ! Elle dort. Un conseil : gardez-vous de m’appeler Toto, compris ? chuchota Victor.
    — Yes, Sir. Chapeau ! mâchonna Joseph. Vous avez une imagination débordante.
    — Vous aimez ?
    — J’adore vos floup-floup-floup . Si, si, sans blague.
    — Ça vous laisse froid ?
    — Pas du tout. Pourquoi ?
    — Joseph, je vous en prie, je suis éreinté. J’ignore comment vous vous y prenez pour…
    — Ah ! Enfin quelqu’un qui compatit ! Je l’ignore moi-même. Entre la librairie, vous, nos enquêtes, Kenji, ma mère, les livraisons, l’écriture, les nuits blanches, les popots, ça devient ingouvernable !… Dites, je ne suis pas à cheval sur les principes, seulement vous avouerez, balancer une histoire de fleur moche à ma fille, c’est un peu au-dessus de son âge, non ?
    — Qui jeune n’apprend, vieux ne saura.
     
    Tha-ma-ra-boum-di-hé
    Vot’ bahut j’l’ai dans l’nez
    La grammair’ ça m’fait suer
    Tha-ma-ra-boum-di-hé 4  !
    Jean-Baptiste Bringart, dit Bringolo, cessa de brailler et expédia au fond de son gosier une généreuse lampée de ratafia. Il avait pataugé tout le jour sous une bruine
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