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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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travail à une terrasse de café et de comparer les appas des passantes qui, parfois, le provoquaient d’un œil coquin. C’était ainsi qu’il avait séduit sa récente conquête, une certaine Lucy Grémille qui pommadait et tondait ses fidèles dans un salon de coiffure de la rue des Entrepreneurs. Il devait admettre qu’elle avait maintes capacités, cette donzelle. Sa décision de lui raser le menton afin de mettre en valeur sa moustache recourbée en girandoles, et de lui tracer une raie sur le côté, l’avait transfiguré.
    Lorsqu’il s’arracha à son reflet dans l’armoire à glace et que, ayant opté pour les rayures, il descendit avec majesté l’escalier de la pension de famille, sa logeuse, Mme veuve Simonet, s’exclama : « Quel changement ! », preuve qu’il n’était plus le même.
    — Le jugez-vous positif ou négatif, Armande ?
    — De quoi parlez-vous donc ?
    — Du changement, pardi !
    — Oh, monsieur Ballu !… Capitaine, je ne vous autorise pas à utiliser mon prénom ! Cessez de vous pavaner et allez déjeuner, votre café et vos œufs sur le plat refroidissent.
    Mme veuve Simonet regarda son locataire favori s’engouffrer dans la salle à manger et, en proie à un trouble qu’elle condamnait, regagna la cuisine. En réalité, elle n’avait rien d’une veuve, puisqu’elle avait exclu de sa vie les chaînes matrimoniales. Mais elle estimait que, si la possession d’un partenaire légal était une superfluité, son absence totale était propre à susciter la méfiance des bourgeois collet monté à qui elle proposait le gîte et le couvert. Aussi s’était-elle Inventé un sort tragique agrémenté d’une union légitime, d’un époux volage, d’un accident de fiacre, du décès prématuré et prévisible de ce vil personnage qui trompait sans vergogne une femme constante, et d’un héritage mérité. Elle évacuait de la sorte une version moins raffinée de son passé.
    Armande Simonet avait vécu de ses charmes dans le quartier des Halles jusqu’à ce qu’un vieux protecteur la couche sur son testament après l’avoir allongée sur son lit. Malgré cinq ans de communauté avec le birbe de la rue Rambuteau, l’association n’avait été sanctifiée par aucun prêtre. L’âge et l’embonpoint avaient tellement modifié les traits et la silhouette d’Armande Simonet qu’elle ne craignait plus d’être reconnue. L’année précédente, elle avait investi ses économies dans cette maison de la rue Violet, une voie cossue de Grenelle, encore épargnée par les immeubles de rapport, une de ces rues où se regroupent les gens éduqués, proche d’une mairie, d’une église et d’un château reconverti en caserne de sapeurs-pompiers.
    On sonna. Catherine, la servante, alla ouvrir. Elle introduisit une femme courte sur pattes, grassouillette, emmitouflée de châles et chapeautée d’une capote à plumes en qui Mme veuve Simonet identifia aussitôt Micheline Ballu, la cousine de ce flirteur d’Alphonse.
    « Un dimanche sur deux, c’est recta, cette enquiquineuse s’éclipse au bras de son parent, avec qui elle va explorer quelque lieu impossible et se gaver dans une brasserie à prix fixe ! »
    — Le capitaine Ballu se restaure, énonça-t-elle d’un ton désagréable.
    — Eh ben, j’vais lui tailler une bavette pendant qu’il termine !
    Mme veuve Simonet haussa les épaules. Sa respectabilité toute neuve lui interdisait désormais de frayer avec des gens de si vulgaire extraction. Tant pis, le capitaine Ballu serait privé de tartines supplémentaires, hors de question de supporter la présence de ce tonnelet empanaché.
    Outre Alphonse Ballu, M. Adhémar Findorge, jadis professeur de latin dans une coûteuse institution religieuse, occupait la table. Maintenant qu’il était pensionné, il déclinait rosa, rosa, rosam , en compagnie de trottins racolés au jardin des Tuileries à l’heure de la pause. Ce docte individu pansu à cheveux longs teints en brun impressionnait d’autant Micheline Ballu que son cousin lui avait révélé un épisode glorieux de sa jeunesse. En effet, trente ans auparavant, le latiniste avait participé à des exhumations d’ossements préhistoriques dans une sablière de la rue Saint-Charles.
    — Tu te rends compte, Mimine – sobriquet sous lequel Alphonse Ballu désignait sa cousine –, il a découvert une molaire d’hippopotame et un métacarpien de mégacéros !
    — Et c’est rare, ces
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