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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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frissonnant, son blaireau à la main. Une interminable journée vide s’étalait devant lui. Il haïssait cette disponibilité qui donne le champ libre à des élucubrations.
    — Tu vois… Tu n’es qu’un déchet maintenant, tu fais partie des gens qui nuisent, quoi ! On t’accule à la mendicité, on t’accule à la misère, c’est tout, ça s’arrête là !
    Voilà qu’il monologuait, à présent !
    Ce qui le troublait, c’était de réfléchir, il se défiait des rêveries intérieures. Il ne lisait pas de romans, ne mettait jamais les pieds au théâtre ou au café-concert, détestait la campagne, n’avait que faire de la peinture. Les femmes ?… Des créatures futiles, écervelées, dénuées de créativité. Le sexe ? Chaque quinzaine au lupanar de la rue de Provence, pour la santé. En politique, il prisait les qualités bourgeoises. Tout avait son utilité : la moralité, la police, l’armée, les patrons, l’argent, et le travail, le seul univers au sein duquel il eût sa place. Le bel édifice s’écroulait.
    Le froid et la faim eurent raison de son inertie. Quand il eut nourri de coke le poêle crapaud et sa propre personne d’une pomme et de camembert, il ouvrit les rideaux sur les façades rectilignes du boulevard de Bercy. Ni le soleil ni le ciel guilleret de cette matinée ne réussirent à gommer l’amertume et l’anxiété. Surtout, pas un mot aux voisins ou aux commerçants, continuer, paraître. Vaquer et rentrer selon les horaires quotidiens. Il se hâta de piocher dans les deux pièces en enfilade les articles vestimentaires qu’il avait disséminés la veille, et s’habilla en mâchouillant. Il ne s’accorda une pause que pour ajuster autour de son cou un petit nœud régate à élastique, enfouir la médaille dans les profondeurs de sa redingote et lisser sa chevelure de caniche face à un miroir encastré entre une bibliothèque sommaire qui contenait des manuels de chimie et une table envahie d’éprouvettes et de cornues.
    Les quatre étages dévalés, il décida de se rendre à 1.1 comptabilité de la maison Romant. Ah, ils pensaient être quittes ! Qu’ils se détrompent, il ne leur ferait pas grâce d’un centime des indemnités qui lui étaient dues.
    Le concierge arpentait le trottoir où il fumait son brûle-gueule en houspillant la marmaille exemptée de l’école publique et obligatoire jusqu’au lendemain. Quand il était certain de l’impunité, il lutinait une servante essoufflée trop craintive pour se rebiffer. Mauvais comme la gale, ce cerbère prénommé Jules prenait un plaisir sadique à terroriser ceux des locataires qui lui semblaient les plus vulnérables. Ses souffre-douleur de prédilection étaient une ex-matelassière borgne qui croupissait sous les toits, et Benoît Magnus.
    Ah, vous voilà, vous, je vous guette depuis avant-hier. Le terme, vous vous souvenez ? C’est à moi que vous êtes prié de le régler, le proprio a été formel. Bientôt, bientôt : c’est la rengaine que vous m’débitez
    — Ce soir, sans faute, je vous paierai, je suis en retard.
    — Trop dormi, hein ? Et maintenant, vinaigre ! Un dimanche ? Vous marnez dans votre parfumerie un dimanche ? Vous êtes un privilégié, vous, d’habitude vous vous la coulez douce, le dimanche !
    Benoît Magnus leva les sourcils. On était dimanche, il avait oublié. D’un geste délibéré, il tira sa montre de son gousset.
    Une course urgente, marmonna-t-il.
    Le concierge ricana.
    Avec ça que ça ne sent pas la rose chez vous ! Un de ces quatre, vous flanquerez le feu à la baraque vos expériences !
    Tout en se répétant rageusement que ce Jules portait le nom d’un vase de nuit, Benoît Magnus lui tourna le dos, pressé de fouler la rive de la Seine. Il n’avisa donc pas la mine éberluée du concierge alors qu’un coupé, stationné à une dizaine de mètres, se lançait à sa poursuite, se garait à son niveau, et que d’une portière entrebâillée surgissait une manche rehaussée de dentelle. Un gant blanc traça un signe à son intention.
    Benoît Magnus inspecta les environs. Pas de doute, cette invite lui était destinée. Ahuri, il essaya vainement de se rappeler qui était l’inconnue. Il y renonça, son imagination s’enflamma, il parlementa un instant avec lui-même, mais comment résister à cette providentielle sollicitation ? Serrant contre lui sa sacoche, il se détendit, respira. Il lui fallait faire quelque chose. Quoi ?
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