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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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Deux lions de pierre accroupis gardaient le portail accolé à une loge de concierge en ruine. L’aile gauche n’existait qu’à l’état de projet, petit édifice où se découpait une barrière de planches à demi pourries.
    S’aventurer dans ce territoire exigeait un jarret sûr, capable de sauter d’un terrassement à l’autre, puisque, du fait de sa déclivité, le vaste jardin avait été aménagé en remblais successifs. De rares escaliers facilitaient l’accès d’un niveau au suivant, mais leurs marches effritées n’accordaient aucune stabilité et le meilleur moyen de progresser eût été de se suspendre d’arbuste en arbuste. Au milieu des taillis, une pièce d’eau où des bulles attestaient la présence d’hôtes aquatiques constituait un piège supplémentaire. Cependant, en dehors de quelques chats de gouttière et de gosses intrépides, personne ne tentait cette expédition, tant l’atmosphère du domaine était inquiétante. Une Vierge ébréchée braquait l’index en direction du ciel comme si elle implorait vengeance. Avait-elle été exaucée ? N’y avait-il plus rien à dérober, plus rien à détériorer dans la demeure dont chaque vitre avait été la cible de garnements armés de frondes ? La rumeur courait que l’endroit était hanté, qu’il portait malheur, qu’à la suite du bottier de la rue Caumartin un soupirant éconduit s’y était occis, et qu’une prostituée y avait été étranglée par son souteneur.
    Le silence régnait sur cette jungle où même les oiseaux se faisaient discrets. Des années durant, la maison avait patienté. Une proie finirait par s’empêtrer dans sa toile. Le moment était proche, les pierres le pressentaient. En elles sourdait la conviction que, bientôt, la grande faucheuse allait se manifester.
     
    — Mille trois cent soixante morts, c’est annoncé en lettres grasses ! Mais on avance le chiffre de trois mille ! claironna Raphaëlle de Gouveline, brandissant un journal et remorquant deux chiens, un bichon maltais et un schipperke, qui renâclaient à pénétrer dans la librairie Elzévir, 18, rue des Saints-Pères.
    Tout juste si Kenji Mori daigna redresser sa tête courbée vers un paquet de fiches en cours de rédaction. Joseph, lui, tendit l’oreille.
    — Un tremblement de terre ? Une éruption volcanique ? interrogea-t-il avec ferveur, au fait du goût de cette dame pour les événements dramatiques.
    — Vous n’y êtes pas ! C’est un effroyable accident !
    — Ben, les autres itou.
    — Oui, seulement celui-là a été provoqué par une monstrueuse bousculade, en Russie, dans la plaine de Chodinskoje, à l’occasion du sacre de Nicolas II. Le sol était grossièrement étayé et jonché de fossés, il recelait un puits profond de vingt mètres. Les infortunés qui se sont rués pour recevoir les cadeaux du couple impérial – on avait promis à chacun une livre de pain blanc, des sucreries, un mouchoir et une coupe – ont trébuché et ont été piétinés par les grappes humaines qui se pressaient à leurs basques.
    — J’en étais resté à un reportage sur le cortège impérial traversant la place Rouge, à Moscou, et sur les soixante et onze coups de canon tirés en honneur de l’intronisation. Jolie trouvaille de s’écrabouiller pour un autocrate ! constata Joseph.
    — Désolée de vous désappointer, ce n’est pas tous les jours qu’une catastrophe se produit, rétorqua Raphaëlle de Gouveline. Ce pullulement du peuple est un danger incontesté, laissa-t-elle tomber, son éventail pointé comme un bouclier. Je suppose que vous auriez préféré m’entendre vous relater un meurtre, vous en êtes si friand !
    — Ben oui, où est le mal ? Il y a moins de victimes ! J’y puise mon inspiration. Par exemple, je m’intéresse à ce fait divers : un homme a assassiné un quidam pour lui voler sa collection de timbres évaluée dix mille francs. Ensuite, il a enfoui le corps dans un coffre confié à la consigne de Couville, près de Cherbourg. C’est plus original, non ?
    Son interlocutrice haussa les épaules et s’adressa à Kenji.
    — Cher monsieur Mori, vous qui appréciez le chic vestimentaire, quelle est votre opinion à propos de la révolution que les swells 7 essaient de perpétrer contre le haut-de-forme ?
    — Je souhaite que cette cabale anti-tuyau de poêle ait des conséquences moins funestes que la consécration du souverain russe. Je vous conseille d’alerter
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