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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
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un bref coup d’œil. À l’inverse de leur amie germanique vêtue d’une ample jupe écossaise qui se transformait en sarouel à l’aide de cordons, Tasha avait élu un ensemble assez collant, courte veste, culotte cintrée aux genoux révélant des jambes moulées de bas noirs camouflés à l’intérieur de bottines. Ce choix l’amincissait sans la muer complètement en jeune homme. Toutefois, son éternel bibi à marguerites ne suffisait pas à sauvegarder le charme auquel Victor était habitué.
    — Coupée un peu trop près du corps. Nécessaire, je suppose…
    — Je subodore une désapprobation.
    — Je ne souscris guère à ce que les femmes exhibent leur anatomie. Adieu, le mystère voilé dans un flot d’étoffes froufroutantes.
    — Bonjour, la liberté de mouvements !
    — Je crains que le perdant de cette récente conception ne soit l’amour. Si les femmes refusaient le port de la robe, les distinctions seraient abolies, il n’y aurait ni masculin, ni féminin, mais une confusion des genres qui interdirait le fantasme.
    — Le fantasme lubrique des courtisans d’Eudoxie Allard, alias archiduchesse Maximova, effeuillant ses dessous sur la scène de l’Éden Théâtre ? Mon cher mari, serais-tu l’un de ces voyeurs ? Je te démontrerai ce soir qu’ôter cette barboteuse est aussi érotique que de dénouer un jupon ! Quant à l’abrogation des différences, c’est toi qui en es responsable, tu m’as changée en sportswoman, espèce de dourak ! Chiche que tu ne me rattrapes pas !
    Elle monta en selle et déguerpit. Tandis qu’il la poursuivait sous un entrelacs de platanes menant à la fontaine Médicis, Victor ressentait un plaisir sensuel à étudier la silhouette d’éphèbe qu’il se figurait nue. L’ombre des arbres séculaires reflétée dans l’eau dessinait de vertes volutes où, semblable à une naïade, dansait Tasha, d’autant plus désirable qu’elle paraissait insaisissable.
     
    Mussée au cœur d’une sorte de forêt vierge, la maison somnolait. C’était un quadrilatère construit sous le Second Empire à l’angle du boulevard d’Italie et de la rue Corvisart par un bottier de la rue Caumartin, à qui une fortune rapide avait donné des envies de faste. Une brutale faillite s’était abattue sur lui, son épouse avait déserté le foyer avec leurs enfants. Le bottier s’était tiré une balle dans la tempe, sans se soucier de ses travaux inachevés. L’héritage, nœud de complications notariales et de conflits familiaux, restait en suspens, si bien que le bâtiment n’en finissait pas de se dégrader dans un parc où proliféraient les plantes sauvages.
    Alentour, le quartier débordait d’activité. Sur le boulevard, des voitures chargées de pieds de céleri, de carottes, de betteraves, disputaient le pavé de la Butte-aux-Cailles à des garçons livreurs, à un troupeau de moutons et à des cuisinières panier au bras. L’air charriait des effluves de vieille graisse, d’oignon, de latrines et résonnait de tintements de sonnettes et de refrains sifflotés ou braillés. Les rues étroites enclavaient des terrains occupés par des chiffonniers ou des artisans, des usines crachaient leur fumée aux façades des marchands de vin. Les passants s’interpellaient, les habitations vétustes n’avaient rien à cacher, hormis des caisses à savon vouées à l’élevage de cochons d’Inde ou un vernis du Japon dont les branches abritaient les jeux de gosses dépenaillés.
    La maison, elle, se moquait de cette agitation. Isolée parmi des buissons enchevêtrés de lierre et de clématites, elle considérait de ses fenêtres aux carreaux crevés des allées moussues dominées par des lilas, des acacias et des noisetiers. Telle une belle fille qui se pare d’atours sophistiqués pour souligner ses appas, l’aile droite avait des prétentions de palais pseudo-Renaissance mais n’exposait qu’un aspect de mairie bâtie de guingois. Le pavillon central pansait ses lézardes sous une vigne vierge qui le rendait presque majestueux, malgré une surabondance d’éléments décoratifs : acanthes, oves, rinceaux. Des bas-reliefs, où des femmes et des enfants étaient drapés à l’antique, agrémentaient les clés des fenêtres. Au-dessus d’un rez-de-chaussée troué d’une porte cochère vermoulue, les corniches de l’entresol étaient soutenues de consoles ornées de fruits. Une toiture d’ardoises hérissée de fleurons couronnait les étages.
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