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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus
Autoren: Michel Ragon
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sera écoulée loin d’elle. Je m’en suis rapproché en m’embarquant pour la Russie. Seulement, dessus, on ne la voit pas. Elle s’étale tout autour. Et puis la guerre se continuait. On passait plus de temps dans le ventre du bateau que sur le pont. Depuis Odessa, je n’ai guère revu la mer. J’en rêve, parfois. Un jour, la mer m’a fait un drôle de cadeau. Elle m’a envoyé Flora, avec son odeur de poisson. Tu as remarqué comme elle sent le poisson ?
    Je crus que Fred plaisantait. Flora exhalait, pour moi, une tout autre odeur que celle d’une poissonnerie. Cette simple allusion me scandalisait. Flora sentait la femme riche, le beau linge, les eaux de toilette, les parfums exotiques.
    Nous ne connaissions pas la même Flora. Celle qui me séduisait tant n’était pas celle qui le poursuivait dans ses insomnies et qui le poussait à jeter en bas du lit ses compagnes éphémères, furieux de trouver ces noiraudes à la place de la petite fille blonde aux yeux bleus qui sortait chaque nuit de la mer et s’avançait vers lui, sans bruit, en balançant ses jambes blanches, blanches comme la couleur de l’aube.
     
    L’insurrection algérienne aiguillonna Fred Barthélemy. Les ratonnades, à Paris, le mirent hors de lui. Nous partagions la même indignation. Mais alors que je m’exaltais pour cette guerre d’indépendance, croyant qu’il était de notre devoir d’aider le F.L.N. à secouer le joug colonial, Fred tentait de me détourner de ce qu’il appelait du romantisme.
    — Mais enfin, lui disais-je, vous vous êtes bien précipité au secours de la République espagnole et auparavant vous avez fait de la prison pour anticolonialisme !
    Fred me répliqua qu’il prendrait volontiers parti contre la guerre que menait la France en Algérie, mais qu’il se refusait à approuver un nationalisme algérien qui transparaissait à travers le F.L.N.
    — Soyons contre toutes les guerres, même les guerres d’indépendance.
    Cette neutralité me révoltait. J’aspirais à porter les valises du F.L.N. et le lui dis. Il répliqua, très en colère :
    — Alors l’exemple de mes propres conneries ne sert donc à rien. J’espérais t’enseigner quelque chose. Tu n’as rien compris. Ou je me suis mal expliqué. C’est consternant !
    La position de Fred Barthélemy était conforme à celle de la F.A. Maurice Joyeux lui-même écrivait :
    « La lutte contre la guerre que le colonialisme mène en Algérie ne doit en aucun cas être un triomphe pour le F.L.N., organisation nationaliste et bourgeoise qui reprendra à son propre compte l’exploitation des populations algériennes, dont les fils seront morts pour rien, pour le plaisir de changer de maîtres. »
    Ce n’est pas possible, pensais-je. Barthélemy, Joyeux, se trompent. Tout nous démontre aujourd’hui que, seuls, ils entrevoyaient les risques d’une aventure qui allait déchirer tant de consciences, briser tant de vies et dont nous sommes encore amers.
    J’étais tant bouleversé par ce conflit qui s’ouvrait avec Fred, qu’au lieu de chercher compréhension près de Germinal, je me précipitai vers Flora. Seulement Flora se moquait pas mal du F.L.N. Elle ne voulait même pas savoir de quoi il s’agissait, bouleversée elle-même par la plainte que son amie Christiane Renault venait de déposer pour homicide volontaire sur la personne de son mari. Douze ans après la mort suspecte de celui-ci ! Il lui avait fallu attendre douze ans pour oser s’attaquer aux Vychinski de l’épuration.
    — Christiane deux fois veuve, s’indignait Flora. Veuve de Drieu et veuve de Renault. Tous les deux tués par votre maudite politique. Comme il était beau, Drieu ! Renault, lui, il était moche, c’est sûr. Mais, quand même, Billancourt c’est lui qui l’a fait, non ? Collaborateur ? Et les autres patrons, alors ? Et ses cadres ? Et ses employés ? Et ses ouvriers ? Ils ont tous travaillé pour les Boches. Sans protester. Tous contents de rester sur place, de toucher leur paye. L’État-gangster a assassiné Renault pour lui voler son usine !
    — L’État-gangster ! Vous parlez comme Fred. Vous voyez bien qu’il s’y connaît un peu, en politique.
    — Laisse Fred de côté, veux-tu ? Renault avait soixante-sept ans lorsqu’il a été coffré à Fresnes. Christiane fréquentait suffisamment de beau monde pour qu’on lui rende son mari. La dernière fois qu’elle le rencontra, elle lui promit que, dans huit jours,
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