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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes
Autoren: Armand Cabasson
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ministre des Relations extérieures et où nos rapports avec la Russie étaient meilleurs... Il a quarante-cinq ans, une forte corpulence, un visage charnu aux lèvres rosées, des cheveux d’un gris vif-argent, des yeux bleu clair éternellement cernés, un teint blafard qui contraste avec ses joues sanguines – car il a un vieux penchant pour la boisson –, des gestes maniérés... Il sait se montrer chaleureux. Il parle avec un léger accent, qui se décèle surtout quand il roule les r. C’est un esprit brillant. Voilà qui devrait vous permettre de l’identifier si vous êtes amené à croiser sa route. M. de Varencourt n’a jamais mentionné le nom de Kevlokine. Ne l’interrogez surtout pas à ce sujet. Ne courons pas le risque d’attirer son attention sur le comte Kevlokine. En ce qui concerne M. de Varencourt, nous préférons le laisser venir plutôt que de lui révéler nos intentions exactes avec des questions maladroites.
    L’entretien touchait à sa fin. Joseph se dit que cet officier avait eu son compte de coups de bâton et qu’il était temps de lui jeter une carotte.
    — Quelle récompense demanderez-vous, lorsque vous aurez accompli votre mission avec succès ?
    Margont, quoique surpris par la question, bondit sur l’occasion.
    — Je souhaite obtenir l’autorisation de lancer un journal, Votre Excellence.
    Une rébellion ! Joseph ressemblait à un prêtre qui voit son interlocuteur invoquer le diable dans sa propre église. Talleyrand lui-même ne pouvait cacher son étonnement, mais il se ressaisit :
    — Vous êtes sûr que vous ne préférez pas de l’argent, comme tout le monde ? Et puis, c’est tellement moins dangereux...
    — Je me permets d’insister. Je souhaite devenir journaliste. J’ai toujours aimé les mots, les idées, les débats, l’art, la culture... Le...
    — C’est impossible ! trancha Joseph.
    Le prince de Bénévent ajouta :
    — Les meilleures gazettes sont celles dont les pages sont blanches. Ainsi, elles ne blessent personne. Dois-je vous exposer le principe du journalisme dans l’Empire ? L’Empereur déclare quelque chose, cela devient la vérité et les journalistes retranscrivent la vérité. Or vous ne possédez manifestement pas cette qualité de savoir répéter tout en ayant l’air de parler par vous-même, un peu comme un écho...
    Joseph revint en terrain connu.
    — Vous toucherez cinq mille francs ! Et le double si vous nous permettez de nous emparer du comte Kevlokine.
    — Vous pourrez ainsi financer votre journal, major. En Louisiane, ou au Siam... La liberté d’expression est une belle chose à condition d’exprimer ce que l’on vous dit d’exprimer, ou d’exprimer autre chose, mais alors en le faisant très loin d’ici.
    Cela ressemblait à un marchandage. Décidément, Margont ne parlait pas la même langue que ces gens-là. Joseph sortit une feuille d’un tiroir et la signa. Il y apposa son sceau et la tendit à Margont.
    — Lorsque l’on joue un rôle, il est important de pouvoir prouver qui l’on est en réalité...
    Cette lettre précisait la véritable identité de Margont, son grade et le fait que Joseph l’avait chargé d’une mission confidentielle.
    — Major, ce document peut vous sauver la vie comme il peut vous faire tuer. À vous de savoir le cacher et d’en faire bon usage. Maintenant, dépêchez-vous ! J’ai fait en sorte que la Police générale ne soit avertie qu’à midi. Avant son arrivée, vous avez juste le temps de repasser à votre caserne pour revêtir un habit civil et de vous rendre au 10, rue de Provence – non loin de l’église de la Madeleine –, pour examiner de vos propres yeux la demeure de la victime.
    — Le colonel Berle vous y attend... précisa Talleyrand.
    Il pouvait parler avec un cynisme stupéfiant tout en ayant l’air d’être sérieux.
    — Vous passerez par la porte de derrière, celle des domestiques, reprit Joseph. Un dénommé Mejun vous ouvrira. Il vous attend. Vous le reconnaîtrez au fait qu’il boite. Ne vous adressez qu’à lui ! Ne révélez rien aux autres !
    — Je m’en doute, Votre Excellence. Si l’assassin était si bien renseigné, c’est que des serviteurs ont dû parler...
    — Mais pas Mejun, qui servait le colonel depuis vingt ans, d’abord comme soldat, puis comme valet. Je vous donne l’ordre de prendre l’emblème des Épées du Roi pour le remettre à Mejun. Dans un deuxième temps, des agents de ma police
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