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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles
Autoren: Maurice Druon
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banquiers.
Mais je les trouve, ces temps-ci, moins aisés de rapport que par le passé. Ils
forment une si grosse compagnie. Ils ont des comptoirs en tous lieux. Et pour
la moindre demande, ils doivent en référer à Florence. Ils sont aussi lents
qu’un tribunal d’Église. Votre oncle a-t-il beaucoup de prélats parmi ses
pratiques ?
    L’esprit de Guccio n’était guère aux
questions de banque. La brume s’épaississait sous son front, ses paupières
brûlaient.
    — Non, nous avons surtout les grands
barons. Le comte de Valois, le comte d’Artois… Nous serions hautement honorés,
Monseigneur… dit-il avec une courtoisie machinale.
    — Nous en parlerons plus tard.
Pour l’instant, vous voici à l’abri dans ce couvent. Vous passerez pour un
homme à mon service, peut-être vous fera-t-on revêtir une robe de clerc. Je
verrai cela avec mon chapelain. Vous pouvez vous dépouiller de cette livrée, et
aller dormir en paix, ce dont vous montrez avoir grand besoin.
    Guccio salua, bredouilla quelques
mots de gratitude et fit un mouvement vers la porte. Puis s’arrêtant, il
dit :
    — Je ne puis encore me
dépouiller, Monseigneur, je dois délivrer un autre message.
    — À qui ? demanda Duèze
aussitôt soupçonneux.
    — Au comte de Poitiers.
    — Confiez-moi la lettre, je la
ferai porter tout à l’heure par un frère.
    — C’est que, Monseigneur,
messire de Bouville m’a enjoint…
    — Savez-vous si ce message a
trait au conclave ?
    — Nullement, Monseigneur. C’est
au sujet de la mort du roi.
    Le cardinal sauta de son siège.
    — Le roi Louis est mort ?
Mais que ne le disiez-vous plus tôt !
    — On ne le sait point encore
ici ? Je pensais que vous en étiez averti, Monseigneur.
    En vérité il ne pensait rien. Ses
malheurs, sa fatigue, lui avaient fait oublier cet événement capital. Ayant
galopé droit devant lui depuis Paris, changeant de chevaux dans les monastères
indiqués comme relais, mangeant à la hâte, parlant le moins possible, il avait
devancé sans le savoir les chevaucheurs officiels.
    — De quoi est-il
trépassé ?
    — C’est ce que messire de
Bouville veut justement faire savoir au comte de Poitiers.
    — Crime ? chuchota Duèze.
    — Le roi, selon le comte de
Bouville, aurait été empoisonné.
    Le cardinal réfléchit un instant.
    — Voilà qui peut changer bien
des choses, murmura-t-il. Un régent a-t-il été désigné ?
    — Je ne sais pas, Monseigneur.
Quand je suis parti, on nommait beaucoup le comte de Valois.
    — C’est bien, mon cher fils,
allez vous reposer.
    — Mais, Monseigneur et le comte
de Poitiers ?
    Les lèvres effilées du prélat
dessinèrent un rapide sourire, qui pouvait passer pour une expression de
bienveillance.
    — Il ne serait guère prudent de
vous montrer par la ville, et de surcroît vous tombez de lassitude, dit-il
Donnez-moi ce pli, pour vous éviter tout reproche, j’irai le remettre moi-même.
    Quelques minutes plus tard, escorté
d’un valet et suivi d’un secrétaire, le cardinal de curie sortait de l’abbaye
d’Ainay, entre Rhône et Saône, et s’engageait dans les ruelles sombres, souvent
rétrécies par des tas d’immondices. Maigre, fluet, il avançait d’un pas
sautillant, portant presque en courant ses soixante-douze ans. Le bas de sa
robe pourpre semblait danser entre les murs.
    Les cloches des vingt églises et des
quarante-deux couvents de Lyon sonnaient les premiers offices. Les distances
étaient courtes dans cette ville aux maisons tassées, qui comptait quelque
vingt mille habitants dont la moitié était adonnés au commerce de la religion
et l’autre moitié à la religion du commerce. Le cardinal fut bientôt arrivé à
la demeure du consul Varay chez lequel logeait le comte de Poitiers.
     

III

LES PORTES DE LYON
    Le comte de Poitiers venait d’achever
sa toilette lorsque son chambellan lui annonça la visite du cardinal.
    Très long, très maigre, le nez
proéminent, les cheveux rabattus sur le front en mèches courtes et retombant en
rouleaux le long des joues, la peau fraîche comme on peut l’avoir à vingt-cinq
ans, le jeune prince, vêtu d’une robe d’appartement de camocas sombre [3] ,
vint accueillir Monseigneur Duèze et baisa son anneau avec déférence.
    Il eût été difficile de rencontrer
plus grand contraste, plus ironique dissemblance qu’entre ces deux personnages,
dont l’un faisait songer à un vieux furet sorti de son terrier, et l’autre à
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