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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles
Autoren: Maurice Druon
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pour le messager lui-même.
Néanmoins, Duèze voulut reconnaître là un indice favorable ; lorsque Paris
avait un service à obtenir des autorités ecclésiastiques, c’était à lui qu’on
s’adressait.
    — Ainsi, vous vous nommez
Guccio Baglioni ? dit-il quand il eut terminé sa lecture.
    Le jeune homme sursauta.
    — Oui, Monseigneur.
    — Le comte de Bouville vous
recommande à moi pour que je vous prenne sous ma garde, et vous dérobe aux
poursuites de vos ennemis.
    — Si vous acceptez de me faire
cette grâce, Monseigneur.
    — Il paraît que vous avez eu
quelque mauvaise aventure qui vous a forcé de fuir sous cette livrée, continua
le cardinal de sa voix rapide et sans résonance. Contez-moi cela. Bouville me
dit que vous faisiez partie de son escorte lorsqu’il conduisit la reine
Clémence en France. En effet, je me souviens, à présent. Je vous ai vu auprès
de lui… Et vous êtes le neveu de messer Tolomei, le capitaine général des
Lombards de Paris. Fort bien, fort bien. Contez-moi votre affaire.
    Il s’était assis et jouait
machinalement avec un gros pupitre tournant sur lequel étaient posés les livres
qui servaient à ses travaux. Il se trouvait maintenant détendu, tranquille, et
tout prêt à se distraire l’esprit avec les petits problèmes d’autrui.
    Guccio Baglioni avait parcouru cent
vingt lieues en quatre jours et demi. Il ne sentait plus ses membres ; une
brume dense lui emplissait la tête et il aurait donné n’importe quoi pour
s’étendre là, à même le sol, et dormir… dormir…
    Il parvint à se ressaisir ; sa
sécurité, son amour, son avenir, tout exigeait qu’il surmontât, pour un moment
encore, sa fatigue.
    — Voici, Monseigneur ;
j’ai épousé une fille de noblesse, répondit-il.
    Il lui sembla que ces mots sortaient
de la bouche d’un autre. Il aurait voulu commencer tout différemment. Il aurait
voulu expliquer au cardinal qu’un malheur sans pareil venait de s’abattre sur
lui, qu’il était l’homme le plus accablé, le plus déchiré de l’univers, qu’on
menaçait sa vie, qu’il lui avait fallu s’éloigner, à jamais peut-être, de la
femme sans laquelle il ne pouvait respirer, que cette femme allait être
enfermée, que les événements avaient croulé sur eux depuis une semaine avec une
telle violence, une telle soudaineté, que le temps paraissait perdre ses
dimensions habituelles, et que lui-même, Guccio, se sentait pareil à un caillou
roulé par un torrent… Or, tout son drame, lorsqu’il fallait l’exprimer, se
résumait à cette petite phrase : « Monseigneur, j’ai épousé une fille
de noblesse…»
    — Ah oui… fit le cardinal.
Comment se nomme-t-elle ?
    — Marie de Cressay.
    — Cressay… Je ne connais pas.
    — Mais j’ai dû l’épouser
secrètement, Monseigneur ; la famille était opposée.
    — Parce que vous êtes un
Lombard ? Bien sûr. Ils sont encore un peu arriérés, en France. En Italie
certes… Alors, vous voulez obtenir l’annulation ? Bah… Si le mariage a été
secret…
    — Mais non, Monseigneur, je
l’aime, elle m’aime, dit Guccio. Mais sa famille a découvert qu’elle était
enceinte, et ses frères m’ont poursuivi pour me tuer.
    — Ils peuvent le faire ;
ils ont le droit coutumier pour eux. Vous vous êtes mis en situation de
ravisseur… Qui vous a mariés ?
    — Le frère Vicenzo, des
Augustins.
    — Fra Vicenzo… Je ne connais
pas.
    — Le pire, Monseigneur, est que
ce moine est mort. Ainsi je ne peux même pas prouver que nous sommes vraiment
mariés. Mais ne croyez pas que je sois lâche, Monseigneur. Je voulais me
battre. Seulement, mon oncle s’est adressé à messire de Bouville…
    — …qui vous a sagement
conseillé de prendre du champ.
    — Mais Marie va être enfermée
dans un couvent ! Pensez-vous, Monseigneur, que vous pourrez l’en faire
sortir ? Pensez-vous que je la reverrai ?
    — Ah ! Une chose à la
fois, mon cher fils, répondit le cardinal en continuant à faire tourner son
pupitre. Un couvent ? Eh bien, ou pourrait-elle être mieux pour
l’instant ? Espérez en l’infime mansuétude de Dieu, dont nous avons tous
si grand besoin.
    Guccio baissa la tête d’un air
épuisé Ses cheveux noirs étaient couverts de poussière.
    — Votre oncle est-il en bons
termes de commerce avec les Bardi ? poursuivit le cardinal.
    — Certes, Monseigneur, certes…
Les Bardi sont vos banquiers, je crois.
    — Oui, ils sont mes
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